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dre ; il savait tout d’un temps, si le champ produirait assez pour le nourrir lui et sa famille après déduction du surplus demandé pour la rente, ou, sinon, il cherchait à vivre en s’employant autrement. Sa manière de vivre n’était pas amoindrie par cette rente en nature, parce qu’il avait un aperçu clair du rendement le meilleur et du rendement le plus faible du champ pour la consommation de sa famille après avoir payé la part qui était la rente. La petite tenure irlandaise, au contraire, doit payer la rente en monnaie. Il eût été tout aussi raisonnable de la leur faire payer en vins de France pour le squire, ou en modes de Paris pour la lady. Leur terre ne produit ni or, ni argent, ni bank-notes irlandaises. C’est manquer de raison d’exiger du paysan, de l’homme ignorant, qu’il paye en ces sortes d’utilités, — qui ne sont que des utilités comme les vins et les soieries, — et de faire de ces hommes simples, sans expérience du négoce, une proie pour les agioteurs des marchés, de leur faire courir le double risque mercantile de vendre leurs propres utilités et d’acheter celles dans lesquelles il plaît à leurs propriétaires d’être payés[1]. »

Le passage suivant montre fort bien comment la tenure-cottagère et la rente-monnaie arrivent à produire la négligence et l’imprévoyance.

« La rente-monnaie détériore la condition du petit tenancier de deux manières. Plus il a l’instinct d’honnêteté, plus il lui faut vivre pauvrement, chichement. Il lui faut vendre tout le meilleur de son rapport : son grain, son beurre, son chanvre, son cochon, et vivre sur la nourriture la plus misérable, ses plus mauvaises pommes de terre et de l’eau, afin de s’assurer de l’argent pour la rente. Elle détériore ainsi sa manière de vivre. De plus, la rente-monnaie l’induit à quitter le sentier de la certitude pour celui de la chance. Elle détériore ainsi son moral. Demandez lui six boisseaux d’avoine, d’orge, ou six mottes de beurre, six bottes de chanvre pour tel champ qui n’en a jamais produit que quatre, son bon sens et son expérience le guideront. Il voit et comprend la simple donnée qui est devant lui, il sait par expérience que ce rendement ne peut s’obtenir, que cette rente ne peut se payer et il s’en va chercher à vivre en Angleterre ou en Amérique. Mais demandez-lui six

  1. Notes and Recollections, p. 30.