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Les pays que nous venons de nommer ont subi une longue application du système qui vise à séparer le consommateur du producteur et à réduire la population à des cultivateurs nécessiteux d’une part, et des intermédiaires rapaces d’autre part. Quant à l’Irlande, le cas a été tant soit peu différent ; — la dernière partie du dernier siècle s’est écoulée pour elle sous un régime analogue à ce qui existe aujourd’hui dans le centre et le nord de l’Europe Le commerce s’y développait, la demande de travail allait croissant, la terre et l’homme acquéraient de la valeur et les utilités achevées perdaient de la leur, — enfin, la communauté progressait d’un pas plus rapide que partout alors dans l’Europe continentale[1].

Par l’acte d’union, tout a changé : — en vertu de ses provisions, les fabriques ont été expulsées du pays, — et la demande des facul-

    les ryots, — d’une indigence, d’une dégradation qui forme barrière à tout essai d’amélioration parmi eux, et flétrit tout bourgeon d’espoir pour l’avenir. Nous avions fait halte dans un vallon frais et ombreux, près d’une petite masure en terre, comme on en rencontre par vingtaines dans les districts cultivés du Bengale. Je voulais un peu d’eau, et préférant la puiser moi-même à un ruisseau qui bruissait près de là, je quittai mon palanquin, mon ami en fit autant. En approchant de la masure, nous en aperçûmes le maître qui était assis devant la porte, et regardait vaguement les champs qui verdoyaient devant lui. Il était vêtu aussi misérablement que l’est un ryot, si l’on peut appeler vêtement un haillon de coton qui lui formait une étroite ceinture autour des reins. Il était d’une maigreur extrême, son visage sale et décharné était rendu plus affreux encore par une profusion de cheveux et de barbe en nattes épaisses. Quelques enfants maladifs, rachitiques, s’amusaient à l’ombre d’un bouquet d’arbres près du champ de riz. Sur notre demande pourquoi il n’était pas au travail à cette heure, il nous répondit que travailler ne lui servait à rien, que plus il travaillait, plus il était pauvre. « Et comment cela ? dîmes-nous. » II regarda autour de lui comme s’il eût eu peur d’être entendu, et nous dit tout bas : — « Mahajum prend tout. » — Nous lui demandâmes comment cela se pouvait, à quoi il répondit : « Il est riche et je suis pauvre. Que puis-je ? »
      « Tant que la masse de la population indienne restera ainsi dégradée et sans appui, il est plus qu’inutile d’attendre d’elle qu’elle se livre à quelque agriculture nouvelle. Pourquoi ces pauvres diables planteraient-ils du coton pour nos fabriques ? Qu’y gagneraient-ils ? C’est une moquerie de parler de leur donner des chemins de fer pour Bombay et Calcutta, quand ils n’ont pas mi sentier pour le tribunal de la commune. Qu’est-ce que la vapeur pour des gens qui n’osent pas manger la nourriture qu’ils produisent, de peur que le grand Zemindar ne trouve un grain de moins dans son ample magasin ? Qu’ont ils besoin des cotonnades venant de Manchester ou des marchandises venant de Birmingham ? » — Household Words, article : Peasants of British India.

  1. Voyez précéd., vol. I, p. 329, au sujet de la demande extraordinaire de livres qui existait en Irlande, avant que passât l’acte d’union.