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En suivant la trace de l’Angleterre, les États-Unis ont adopté une politique qui tend à limiter la concurrence pour les facultés supérieures, tout en créant la demande de navires et de matelots, et par là augmentant le coût de transport. D’après le diagramme, nous voyons que la civilisation progresse à mesure que les hommes sont de plus en plus en état de se dispenser des services du transporteur, — tandis qu’ils marchent de plus en plus à l’asservissement lorsque s’accroît la concurrence pour ces services. D’année en année, on félicite la nation sur l’accroissement de la demande de navires ; et cependant chaque année qui succède aux autres atteste une tendance croissante à l’asservissement des hommes qui forment les équipages. En ceci, comme en tout, la folie et l’injustice tendent à produire leur propre récompense. Le caractère de la marine américaine et des équipages tend à décliner, à mesure que le désir d’augmenter la marine conduit à l’exagération de la taxe de transport qui pèse sur le fermier. Plus cette taxe est considérable, plus s’accroîtra le pouvoir de ceux qui vivent de profits, et plus se complétera l’asservissement de ceux qui ont besoin de vendre leur travail[1].

  1. « Les noliseurs, les patrons de navires et même les contre-maîtres ont un intérêt à ce que l’équipage déserte en arrivant de l’autre côté de l’Atlantique, et dans ce but ils font le vaisseau trop chaud pour qu’ils y puissent tenir. Les bons matelots qui sont engagés pour aller et retour, et qui entendent faire honneur à leur engagement, sont éconduits à terre sans un sou, et réduits à se tirer d’affaire eux-mêmes, dès que le bâtiment est au quai. Il y a plusieurs manières de s’y prendre ; pour l’ordinaire on emploie les mauvais traitements pendant la traversée. Et pourquoi cet intérêt des maîtres, des contre-maîtres et des propriétaires à ce que l’équipage déserte de l’autre côté ? parce qu’ils auraient à payer la solde et les frais de nourriture aussi bien dans le port qu’en mer ; et aussi parce qu’à Liverpool on trouve à se procurer des matelots en foule à raison de 2 liv. 10 sh. par mois. Les noliseurs du bâtiment trouvent ainsi à épargner 15 % de frais d’équipage, à chaque voyage, et comme le capitaine est lui-même un des noliseurs, il est intéressé à cette épargne dans la proportion de son taux d’intérêt. Le contre-maître y trouve intérêt, parce que par collision avec les agents de la marine américaine (american shipping agents), il reçoit de 5 à 10 shillings par homme qu’il parvient à éconduire du bâtiment, sous condition d’employer le suborneur à recomposer un équipage quand le moment sera venu. Et ce ne sont pas là les seules parties intéressées à pousser à la désertion ; nos consuls touchent un droit de 1 dollar pour chaque engagement de matelot qui se fait dans leur port ; il n’est pas improbable que ce droit ait parfois induit les consuls à faire la sourde oreille, à la plainte d’un pauvre diable de matelot contre ses supérieurs... Les patrons de navire ont encore une autre source de gain illicite sur l’achat de provisions de qualité inférieure. Il est bien connu que très-souvent ils achètent, pour leur équipage, du bœuf et du porc qui ne vaut guère