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pour l’achat de travail et des denrées premières de la terre, et détruisant ainsi la valeur du travail et de la terre. À quel point elle y parvient, c’est ce que nous allons rechercher.

Il y a moins d’un demi-siècle, l’industrie cotonnière faisait vivre la moitié des habitants de l’Hindoustan[1]. L’Inde, alors, exportait des cotonnades au monde entier, après avoir vêtu sa population, qui se compte par cent vingt millions, et qui, an rapport d’un des hommes d’État les plus distingués que l’Angleterre ait envoyés dans ce pays, « n’était point inférieure en civilisation à la population de l’Europe[2]. » La centralisation politique y existait dans sa plus grande force, mais la concentration trafiquante était beaucoup modifiée par l’exercice du souverain pouvoir, qui s’interposait entre le négociant et ceux qui produisaient, transformaient et consommaient le coton. Le trafic cependant triompha par la suite et contraignit ses malheureux sujets à la libre importation de cotonnades d’Europe, tandis qu’en même temps il prohibait l’exportation de toute machine ou de tout ouvrier habile qui peuvent les produire.

L’industrie indigène disparut, et avec elle toute concurrence pour l’achat du travail et de ses produits. La conséquence fut la déperdition à peu près complète des énergies potentielles d’un dixième de la race humaine, — au préjudice du monde entier : — l’homme qui ne trouve point à vendre son travail est dans l’impuissance de concourir pour l’achat des produits du travail des autres.

Voici cinquante ans que la population des États-Unis a commencé à faire chez elle-même concurrence à l’Europe pour l’achat du coton

  1. Voyez précéd., vol. I.
  2. « Je ne vois pas exactement ce qu’on entend par civiliser le peuple de l’Inde. Ils ignorent la théorie et la pratique d’un bon gouvernement ; mais si un bon système d’agriculture, — une fabrication qui n’a point d’égale, — des écoles primaires partout, — des mœurs douces et hospitalières, — et par-dessus tout le respect scrupuleux et la délicatesse dans les rapports avec la femme, sont choses qui dénotent un peuple civilisé ; les Hindous ne sont inférieurs en civilisation à aucun peuple de l’Europe. » Sir Thomas Munro, cité par Sleeman, Rambles in India, vol. I, p 4.
      Le colonel Sleemann dit : « Je fais grand cas des classes agricoles de l’Inde généralement, et j’ai rencontré chez elles quelques-uns des meilleurs hommes que j’ai jamais connus. Le paysan de l’Inde a généralement de fort bonnes manières et il est très-intelligent, ce qui s’explique par le grand loisir dont il dispose, et par les relations faciles et sans réserve qu’il a avec ses supérieurs. »