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tient un faible rendement d’une grande pièce de terre. Ajoutez à cette taxe ainsi levée dans l’Inde sur le travail et son application, des taxes sur tous les instruments de travail depuis la barque du pécheur, jusqu’aux outils de l’orfèvre, et d’autres plus fortes et les plus fortes qu’il se puisse imaginer sur le sel et l’opium, et nous aurons le système le plus écrasant que le monde ait encore vu et qui ne s’adresse qu’à la personne du commencement à la fin. Comme conséquence, la terre trouve rarement acquéreur à un prix qui dépasse le montant de trois années de la taxe payée par l’occupant. Les millions d’hommes meurent, chaque année, faute de trouver à vendre leur travail[1].

  1. L’énorme revenu de la compagnie et les fortunes que de temps en temps les nababs rapportent en Angleterre proviennent de rentes minimes et de redevances arrachées à une population on ne peut plus pauvre de laboureurs, d’artisans, soit pour une hutte ou un petit champ, ou pour la liberté d’exercer quelque métier. Pour recueillir ces pitances, nous devons employer une race de collecteurs de plusieurs degrés, à qui l’on donne des dénominations de toute sorte, familières seulement à une oreille indienne, mais ne présentant aucune idée distincte à un Anglais qui n’a point voyagé ou n’a pas de lecture. La tâche est difficile en tout temps. Aussi la compagnie fait-elle un choix parmi les Européens ; les plus intelligents sont faits collecteurs, ceux qui le sont le moins sont faits juges. Mais, lorsque survient la famine, après une saison pluvieuse, la tâche devient tout à fait impossible. Cependant la compagnie doit payer ses dividendes, ses fonctionnaires, ses armées, ses flottes, ses travaux publics. Il faut trouver de l’argent, il faut mettre en jeu la vis à pressoir. La pression descend des hauts lieux jusqu’aux extrémités et aux parties les les plus infimes ; elle arrive enfin à une classe très-haïssable d’agents fiscaux et judiciaires, — car c’est tout un, — qui ont à traiter avec de pauvres diables encore plus misérables, qui n’ont ni honte, ni position, sont las de la vie, indifférents à la peine, qui n’ont qu’une pensée unique, nourrie depuis longtemps, la possession de quelques roupies. C’est dès lors une collision perpétuelle entre ces deux classes, l’une criant, menaçant, extorquant, vexant et pratiquant tout moyen d’extraire de l’argent ; l’autre, se dérobant et rusant, mentant et endurant tout plutôt que de payer. Chacun est au fait de tout ce qui s’est pratiqué, et quel est le dernier recours. Le péon, impitoyable et souvent injuste, pressure les roupies de la bourse des ryots par mille tortures. Ce n’est pas le grand style de la torture européenne qui allongeait un homme de cinq pieds jusqu’à six, ou vice versa, qui l’aplatissait comme une crêpe ou le gorgeait d’eau goute à goute jusqu’à ce qu’il en mourût. Non. La torture indienne est vive, impromptue, ingénieuse à bon marché ; elle moleste, elle dégoûte, elle révolte, elle est mesquine à l’excès. C’est la torture exercée par des enfants très-pervers, qui ont passé tout à coup à l’état d’hommes et de femmes sans avoir acquis le moindre respect de soi-même. Ils emploient le tourniquet, de lourdes pierres, des fibres d’arbres, la glace, les fourmis rouges, des vers de terre et des liqueurs âcres. C’est là tout l’appareil d’une inquisition indienne, mais ils s’en servent avec dextérité et promptitude. Le réfractaire, — n’importe l’âge ou le sexe, — une douzaine de réfractaires, la moitié d’un village, sont liés à