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société, cependant, le commerce est très-limité ; les facultés humaines, soit physiques ou intellectuelles, restent latentes, attendant la demande, précisément comme c’est le cas pour les forces naturelles qui abondent tellement. La force existe partout, susceptible d’être mise à contribution pour les desseins de l’homme ; mais la houille et le minerai, l’élasticité et la vapeur attendent qu’il daigne venir les développer.

Partout, dans le monde social comme dans le monde physique, c’est la demande qui fait naitre l’offre. Le colon solitaire qui a pris autant d’oiseaux qu’il en peut consommer n’est point excité à de nouveaux efforts, et ses facultés restent sans emploi. Le sauvage de l’Ouest cache le produit de sa chasse, tandis que le paysan de Castille dépose son grain dans des silos, attendant la demande. Tous les deux perdent leurs jours dans l’oisiveté parce que les producteurs des utilités contre lesquelles ils échangeraient volontiers leurs produits sont à une telle distance qu’il est difficile de commercer avec eux.

Le paysan russe qui, faute de pouvoir envoyer son blé au marché lointain, ne peut se procurer le drap pour habiller lui et sa famille, perd la force pour laquelle il n’y a pas de demande. La population de la Caroline s’enrichit dans les saisons où sa terre reste comparativement improductive ; tandis qu’elle est appauvrie par les saisons de grande fertilité, la majeure partie des produits s’en allant à payer l’emmagasinage, les commissions et le fret. Pour elle, par conséquent, un effort inusité qui se traduirait en une augmentation de récolte serait une cause de perte et non de profit. Il en est de même pour les facultés intellectuelles, qui ne sont jamais à l’état de demande chez un peuple complétement absorbé dans le labeur des champs. Leibnitz et Newton, Watt et Fulton auraient vécu et seraient morts inconnus, misérables conducteurs de bétail, si la destinée les eût fait naitre dans les Pampas de Buénos-Ayres ou dans les plaines d’Afrique. Pour que, dans la Caroline ou dans la Russie, l’homme doué de force physique ou intellectuelle soit incité à produire, il faudrait qu’existât auprès de lui cette demande de la faculté individuelle qui favorise l’association et donne naissance au commerce ; les cardeurs de laine et les tisserands prenant leur place à côté des planteurs de coton et des semeurs de blé, comme le conseille Adam Smith. Les denrées pre-