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l’estomac, qui le digérait moins facilement, (— une idée, que répète encore aujourd’hui le pauvre paysan d’Irlande, qui, parmi les pommes de terre, préfère la lumper, parce que, dit-il, elle contient un os) — le bœuf et le mouton ont succédé au hareng salé sur la table de l’artisan et du laboureur, et au jambon nourri de gland sur la table du lord. Dans l’espace d’un siècle, le poids moyen du gros bétail s’est élevé de 370 livres à 800 livres, et celui du mouton de 28 livres à 80 livres ; — et le chiffre des têtes consommées s’est élevé encore plus que le poids. La quantité de laine de peaux et d’autres parties qu’utilisent des manufactures de toute sorte, est immense, et cependant la population qui ne vit que du travail purement agricole n’est certes pas le triple de ce qu’elle fut à l’époque des Plantagenets. La rémunération du travail s’est donc largement accrue avec l’accroissement de population. L’homme a acquis pouvoir sur les différents sols que leur ténacité ou la distance dérobait aux moyens de cultiver dont il disposait, mais qui aujourd’hui sont requis de fournir à la subsistance d’une population accrue et plus prospère.

L’histoire de la France au moyen âge, lorsque la terre abondait et que la population était peu nombreuse, n’est qu’un récit d’une suite non interrompue de famines. À une date aussi avancée que le milieu du quinzième siècle, voici quelle était la condition des paysans de cette nation, d’après Fortescue, un savant jurisconsulte anglais de cette époque.

« Ils boivent de l’eau, ils se nourrissent de pommes et d’un pain de seigle presque noble. Ils ne mangent point de viande, si ce n’est, et très-rarement, un peu de lard, ou les entrailles et les têtes des animaux que l’on tue pour les nobles et pour les riches marchands. Ils ne portent pas de laine, sinon une pauvre cotte sous leur vêtement extérieur, qui est fait d’une grosse toile, et qu’ils appellent un froc. Leurs chausses sont de la même toile, et ne descendent qu’au genou, sur lequel la jarretière les serre, et les jambes sont nues. Les femmes et les enfants vont pieds nus. Et il leur serait impossible de vivre mieux ; car tel parmi eux qui ne pouvait payer à son seigneur, pour le loyer d’un petit champ, un écu[1] paye maintenant au roi jusqu’à cinq écus. Aussi le besoin les condamne

  1. L’écu était une monnaie d’or, qui, à l’époque de Fortescue, valait 3 shellings 4 deniers.