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sujétion finale du travailleur au vouloir arbitraire de ceux par qui la terre se trouve possédée.

§ 14. — M. Bastiat. Ses vues correspondent à celles de Hume et de Smith.

Un des économistes les plus distingués que la France ait produits, M. Bastiat, enlevé trop tôt à la science, prétend : « Que c’est une circonstance assez insignifiante qu’il y ait beaucoup ou peu de numéraire dans le monde : s’il y en a beaucoup, il en faut beaucoup, s’il y en a peu, il en faut peu pour chaque transaction ; voilà tout. »

Ce n’est là qu’une reproduction des idées de Hume et de Smith, et comme chez eux elle est contraire au sens commun de l’humanité, la brochure à laquelle nous empruntons ce passage avait pour objet de prouver l’erreur universelle des hommes, de supposer que la monnaie est la richesse, — « la richesse consistant dans l’abondance des choses qui sont calculées pour satisfaire nos besoins et nos goûts, » et non dans la possession de l’instrument qui sert à échanger ces choses entre elles. La monnaie semblerait cependant être aussi parfaitement apte à satisfaire « tant nos besoins que nos goûts, » que l’est un navire, un chemin de fer, un wagon ou une usine, lesquels derniers objets sont certainement, même dans l’opinion de M. Bastiat lui-même, aussi bien de la richesse que l’est la balle de coton portée dans le navire, le chargement de blé produit par la ferme, ou le ballot d’étoffe expédié de l’usine. Le navire, le chemin, l’usine et la monnaie, sont autant de parties de l’outillage d’échange nécessaire à l’homme ; et il n’en est aucune qui rende autant de service à moins de frais que la dernière, — aucune dont la possession soit aussi essentielle à cette combinaison d’efforts qui distingue la civilisation de la barbarie ; et de là vient que notre écrivain a occasion de découvrir, comme il le suppose, tant d’erreurs dans l’opinion commune sur ce sujet. Dans toute la communauté pour laquelle il a écrit, il n’aurait pas trouvé un seul homme qui ne lie l’idée d’accroissement de vie, d’activité, de mouvement à la facilité accrue d’obtenir la monnaie ; et le mouvement engendre la force ou le pouvoir. Tout fermier en France sait fort bien qu’alors que la monnaie abonde, ses produits s’échappent vite de ses mains, — le mettant à même d’acheter vêtements, engrais et instruments" de culture calculés pour augmenter ses pouvoirs et ceux de sa terre. Il sait non moins bien et il sent que lorsqu’elle est rare, il a à attendre les acheteurs, et qu’alors le drapier, le fournisseur d’en-