Page:Carey - Principes de la science sociale, Tome 2.djvu/48

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La troisième fut une période de guerre accompagnée d’une demande incessante d’hommes et d’argent, et qui aboutit à l’occupation du sol de la France par les armées coalisées de l’Europe ; et cependant, les effets résultant de la disparition même d’une simple portion des obstacles apportés au commerce, ces effets

    étaient cités devant les tribunaux, mis en jugement et condamnés, leurs biens étaient confisqués ; des exemplaires de leur jugement de confiscation étaient affichés sur toutes les places publiques, leur réputation pour l’avenir, leur crédit, tout était perdu et anéanti. Et pour quel délit ? parce qu’ils avaient fabriqué avec de la laine anglaise une espèce de drap appelée peluche telle que les Anglais en fabriquaient ordinairement et en vendaient même en France, tandis que les règlements prescrivaient de fabriquer ladite espèce avec du poil de chèvre de Turquie.
      « J’ai vu d’autres manufacturiers traités pareillement, parce qu’ils avaient fabriqué des camelots d’une certaine largeur, employés en Angleterre et en Allemagne, et pour lesquels on adressait des demandes nombreuses de l’Espagne, du Portugal et d’autres pays, ainsi que de plusieurs parties de la France, tandis que les règlements français prescrivaient d’autres largeurs pour les camelots.
      « Il n’existait aucune ville libre où les découvertes de la mécanique pussent trouver un refuge contre la tyrannie du monopole ; aucune profession ne pouvait être exercée, si elle n’était décrite clairement et d’une façon explicite par des statuts, aucune autre profession que celle qui se trouvait comprise dans les privilèges de quelque corporation.
      « Personne ne pouvait perfectionner un procédé, ou s’écarter des règles prescrites pour la fabrication des étoffes de coton, de peluche, ou de soie, sans risquer d’encourir de lourdes amendes, de voir ses machines brisées, et les produits de sa fabrique brûlés en place publique par les mains du bourreau.
      « Il devenait impossible à une foule d’inventeurs de mettre leurs inventions en pratique, lorsque leur demande de brevet d’invention n’était pas appuyée par de puissantes recommandations, ou lorsqu’ils ne pouvaient acheter, à haut prix, la bonne volonté des commis de l’administration.
      « Plusieurs négociants de Nantes et de Rennes désiraient créer, sur un nouveau plan, des manufactures d’étoffes de laine, de soie et de coton. Ils possédaient de nouvelles préparations pour fixer les couleurs. À peine l’établissement était-il approprié, que la corporation des fabricants de serge leur contestait le droit de fabriquer des étoffes de laine, et la corporation des teinturiers réclamait le privilège de teindre pour eux. Les procès, continués pendant plusieurs années, absorbaient le capital créé dans le but de former un établissement utile ; et lorsqu’en fin on obtenait une décision favorable, toutes les ressources des manufacturiers étaient épuisées ; c’est ainsi que les fabricants de serge et les teinturiers, réussissaient à ruiner des concurrents dangereux.
      « L’art d’emboutir et de vernir la tôle fut découvert en 1761 ; mais pour le mettre en pratique, il était nécessaire d’employer des ouvriers et de se servir d’instruments propres à diverses professions ; l’inventeur, n’étant pas assez riche pour payer les droits d’admission dans les corporations auxquelles ces professions appartenaient, quitta la France pour aller former un établissement à l’étranger.

    (Perpigna. Loi française sur les brevets d’invention)
    .