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teur ; mais il n’essaya jamais d’intervenir, en ce sens, dans le système qu’il avait trouvé établi. Cette œuvre fut léguée à ses successeurs incapables, qui, en 1786, négocièrent avec l’Angleterre un traité aux termes duquel l’industrie française fut sacrifiée, et sans qu’on vît même apparaître aucuns avantages pour l’agriculture, les villes de France furent inondées de marchandises anglaises, et avant que le traité eût deux ans d’existence, l’industrie variée, formée avec tant de soin, était presque anéantie. Les ouvriers étaient partout congédiés et partout mouraient de besoin, faute d’un marché où ils pussent vendre leur travail, en même temps que l’agriculture souffrait, par la raison que les individus, qui ne pouvaient vendre leur travail, ne pouvaient acheter des subsistances. Le commerce avait péri sous les coups que lui avait portés le trafic. La détresse était générale ; elle paralysait les mouvements du gouvernement et le forçait à adopter la mesure qui précéda la révolution, la convocation des Notables en 1788.

Tout ce que Turgot, quelques années auparavant, avait réclamé, mais vainement, en faveur du peuple, fut conquis par celui-ci, lorsque la révolution emporta dans sa course rapide les privilèges des corporations industrielles et religieuses, lorsque les besoins de l’État amenèrent la confiscation des biens de la Noblesse et du Clergé, et que les pairs et les paysans furent déclarés égaux devant la loi. À partir de ce moment, le commerce fut affranchi, dans une proportion considérable des mesures restrictives qui l’entravaient antérieurement ; le droit au travail cessa d’être un privilège, le sol devint la matière d’achats et de ventes ; et le travailleur put appliquer son travail à une pièce de terre, assuré désormais que, quelle que fût la valeur qu’il lui donnerait, cette valeur profiterait à sa femme, à ses enfants et à lui-même. La décentralisation avait ainsi triomphé de la centralisation ; mais les mesures auxquelles étaient dus les résultats que nous avons retracés plus haut, furent accompagnés des grandes mesures centralisatrices : de l’abolition de toutes les administrations provinciales, de la disparition des anciennes limites, et de la division de tout le territoire en départements, mesures tendant nécessairement à amoindrir le sentiment de l’orgueil local, qui contribue si efficacement à l’activité de la vie sociale. Des dispositions furent prises pour diminuer à l’avenir la centralisation sociale ; mais la centralisation politique s’accrut immédiatement et