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lorsqu’elle voit établi (au moins le pense-t-elle) ce fait, que les intérêts généraux du pays doivent être favorisés par des mesures qui ont pour but la production d’une quantité abondante de travail à bon marché, c’est-à-dire mal rétribué.

Le système de l’union américaine étant fondé sur l’idée d’une égalité politique complète, nous serions peut-être autorisés à attendre de nos professeurs quelque chose de différent, sinon même de meilleur ; mais dans ce cas nous serions généralement désappointés. À quelques faibles exceptions près, nos professeurs enseignent la même science sociale que celle qui est enseignée à l’étranger par les hommes qui vivent de l’inculcation dans les esprits des droits divins de la royauté ; et ils démontrent que les individus doivent se gouverner par eux-mêmes à l’aide de livres où leurs élèves apprennent : que plus la tendance vers l’égalité augmente, plus augmente aussi la haine entre les diverses classes dont la société se compose. La science sociale, telle qu’on l’enseigne dans les collèges de l’Amérique du nord et de l’Europe, se trouve aujourd’hui au niveau de la chimie dans la première partie du siècle dernier, et elle demeurera telle, aussi longtemps que ceux qui l’enseignent continueront à ne regarder qu’au dedans d’eux-mêmes et à inventer des théories au lieu de porter leurs regards au dehors, sur le laboratoire de l’univers, pour rassembler des faits dans le but de découvrir des lois. En l’absence de ces lois, ils répètent constamment des phrases qui n’ont aucun sens réel et qui tendent, ainsi que Goëthe le dit avec tant de vérité, « à ossifier les organes de l’intelligence, » non-seulement d’eux-mêmes, mais encore de leurs auditeurs[1].

L’état dans lequel existe aujourd’hui la science sociale est celui

  1. Le païen, l’idolâtre, celui qui ignore même l’existence de l’Église catholique, rendent un culte à leurs troncs d’arbre et à leurs blocs de pierre, et au lieu de les regarder comme des signes qui ne font que représenter ce que l’esprit humain, dans son état intellectuel, ne peut exprimer autrement de ses sentiments religieux, prend les signes pour les choses mêmes qu’ils représentent et les adorent comme des réalités. Et nous, pareillement, nous adorons nos propres signes, les mots. Que l’homme s’impose la tâche d’examiner l’état de ses connaissances sur les sujets les plus importants, divins ou humains, et il se convaincra qu’il n’est lui-même qu’un pur admirateur de mots ; il trouvera des mots sans idée, ou dépourvus de sens dans son esprit, vénérés, devenus des idoles, des idoles qui ne diffèrent de celles qui sont sculptées en bois ou en pierre qu’en ce qu’elles sont tracées sur du papier blanc avec l’encre de l’imprimeur. (Laing. Chronique des rois de la mer. Dissertation servant d’introduction, chap. II.)