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Celui qui dirige la locomotive humaine doit brûler du combustible lors même qu’il n’y a pas demande de force ; et de là vient que dans les pays où la diversité des travaux diminue, et où le commerce diminue conséquemment, la quantité de capital consommé dépasse la quantité reproduite, dans une proportion assez considérable pour faire disparaître la richesse et ramener l’homme à sa condition première, celle d’esclave de la nature. La force musculaire et l’énergie intellectuelle sont dépensées en pure perte, en même temps que la puissance productive du sol décroît d’année en année, par suite de la disparition incessante des éléments constituants de l’alimentation et des vêtements ; système auquel la nature a attaché, comme châtiments inévitables, la pauvreté, la famine, la maladie et la mort.

On dira peut-être que les peuples de tous les pays que nous avons cités ne sont pas civilisés ; qu’ils ont de la répugnance pour le changement, lors même que le changement est un progrès ; qu’ils continueraient volontiers de faire usage des misérables instruments par lesquels ils remplacent les charrues, les houes et les machines à vapeur, lors même qu’on leur offrirait ces dernières. Mais un pareil état de choses résulte inévitablement de ce qu’ils ne peuvent entretenir pour eux-mêmes des centres locaux d’action, fournissant la force attractive nécessaire pour résister à une attraction centrale aussi considérable que celle qui existe dans les colonies anglaises. L’attraction locale est aussi nécessaire pour le maintien des agglomérations sociales vis-à-vis l’une de l’autre, que l’est la gravitation locale en présence du soleil. Sous l’influence centralisatrice de l’Angleterre, les sociétés humaines qui constituent l’Inde, l’Irlande, le Portugal et la Turquie, se sont décomposées si complètement qu’elles ne forment plus guère aujourd’hui qu’une masse de ruines, et elles doivent rester dans cet état tant qu’il n’y aura pas de changement de système. Les choses s’étant ainsi passées en ce qui concerne les sociétés anciennement fondées, combien il eût été impossible, nécessairement, d’établir à la Jamaïque un système quelconque d’attraction opposée, lors même qu’il n’eût existé aucune de ces prohibitions imposées à l’industrie manufacturière, sur lesquelles nous avons appelé antérieurement l’attention du lecteur ! C’est le premier pas dans la voie du progrès qui est toujours le plus difficile à faire et le moins pro-