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de la centralisation, ainsi que l’Irlande l’a si bien prouvé. La possibilité de payer les impôts étant en voie de diminution, il en résulta la nécessité de recourir à la création d’une espèce d’aristocratie foncière, qui serait responsable de leur payement envers le gouvernement ; à cet effet, les droits particuliers des petits propriétaires furent sacrifiés en faveur des zemindars, qui, jusqu’alors, n’avaient été que de simples officiers de la couronne. Devenus dès lors de grands propriétaires fonciers, ils furent constitués maîtres d’une foule de pauvres tenanciers, possédant leurs terres au gré de ces maîtres, et passibles de la torture et de châtiments de toute sorte, s’ils manquaient à payer une rente, dont le montant n’avait d’autre limite que le pouvoir de les contraindre au payement. C’est ainsi que se trouva transplanté dans l’Inde le système des intermédiaires, suivi en Irlande et aux Antilles.

Toutefois, dans le principe, il fonctionna d’une façon défavorable pour les zemindars eux-mêmes ; les rentes qu’ils s’étaient obligés à percevoir étant si complètement hors de proportion avec les moyens des malheureux tenanciers que la torture même ne pouvait contraindre ceux-ci à les payer ; et il s’écoula même peu d’années avant que les zemindars se liquidassent eux-mêmes, à leur tour, pour faire place à une autre classe de gens « aussi âpres et aussi endurcis qu’ils l’avaient été eux-mêmes. » Ce système n’ayant pas répondu à ce qu’on en attendait, on se détermina ensuite à fixer l’extension de la liquidation permanente et à prendre des arrangements avec chaque petit ryot[1], ou cultivateur, à l’exclusion complète des autorités du village, qui, sous les gouvernements indigènes, avaient réparti les taxes avec tant d’équité. C’est ainsi que fut établi le système de complète centralisation des ryots ; et l’on peut juger quels ont été ses effets, d’après le tableau suivant que nous a retracé M. Fullerton, membre du Conseil de Madras.

«   Imaginez un impôt qui doit être recueilli par l’entremise de milliers de fonctionnaires du fisc, impôt perçu, ou dont il est fait remise, à leur gré, suivant les moyens de payer du possesseur, d’après le produit de sa terre ou de ses biens particuliers ; et, pour encourager chaque individu à remplir le rôle d’espion

  1. On appelle ainsi, dans l’Inde, les petits cultivateurs qui occupent le terrain par bail à perpétuité.