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Le colon lui-même était esclave, presque autant que le nègre qu’il avait acheté. Toujours endetté, sa propriété se trouvait généralement entre les mains d’agents intermédiaires, représentant les individus envers lesquels il avait contracté des dettes, les facteurs résidant en Angleterre, qui amassaient des fortunes à ses dépens, et dont les agents dans les colonies s’enrichissaient aux dépens du propriétaire nominal de la terre, d’un côté, et de l’autre des esclaves qui la mettaient en culture[1]. A l’époque dont nous avons parlé plus haut, des agents intermédiaires, au nombre de 193, n’étaient pas chargés de la gérance de moins de 600 ateliers, donnant un produit de 80.000 boucauds de sucre, et de 3.600 pièces de rhum dont la valeur pouvait être estimée à 4.000.000 de liv. sterl. sur lesquels ils avaient droit à 6 %. Plus l’état de détresse du planteur augmentait, plus le mandataire s’engraissait ; et c’est ainsi que nous retrouvons, en cette circonstance, un état de choses exactement semblable à celui qui existe en Irlande, où les domaines des seigneurs absents étaient régis par des intermédiaires n’ayant aucun intérêt dans la terre, ou dans les esclaves virtuels qui y résident ; et jaloux seulement de tirer, et des uns et des autres, tout ce qu’ils pourraient, en ne leur restituant à tous deux que le moins possible. Dans les deux cas, la centralisation, l’absentéisme et l’esclavage marchaient de conserve, ainsi qu’ils l’avaient fait au temps des Scipion, des Caton, des Pompée et des César.

A quelle cause était dû cet absentéisme ? Pour quelle raison, à la Jamaïque, de même qu’en Irlande, les propriétaires terriens ne résidaient-ils pas sur leurs domaines, s’occupant personnellement de les exploiter ? Parce que la politique qui défendait que le sucre même fût raffiné dans l’île, et restreignait toute la population, jeunes gens et vieillards, hommes et femmes, à la culture unique de la canne, empêchait, en réalité, la formation d’une classe moyenne quelconque qui eût constitué la population des villes, dans les-

    de 1.700.000 ; et cependant à l’époque de l’émancipation, ce nombre n’était plus que de 660.000. Le nombre de ceux importés aux États-Unis, ne peut avoir dépassé 500.000 ; mais le chiffre a grossi jusqu’à 3 millions et demi.

  1. Le lecteur qui voudrait se faire une idée complète du gaspillage et des brigandages qui avaient lieu sur une plantation dans les colonies anglaises de l’Amérique, de l’esclavage du propriétaire et des causes de l’épuisement de ces îles si fertiles, peut consulter à cet effet l’Histoire des nègres marrons, par R.-C. Dallas. Londres, 1803, ? vol. in-8.