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du travail honnête. Plus les armées furent nombreuses, plus fut considérable l’accroissement et de la splendeur et de la faiblesse ; et le résultat est évident dans ce fait, que pendant un siècle et demi, Madrid fut le foyer d’intrigues relatives à la question de savoir qui, de la France ou de l’Angleterre, aurait la direction de son gouvernement ; et que le royaume fut appauvri par des guerres fréquentes ayant pour but de déterminer l’ordre de succession au trône. Dans ses efforts pour anéantir tout pouvoir de se gouverner soi-même, chez les étrangers, l’Espagne avait perdu toute individualité à l’intérieur[1]. Maîtresse des Indes, elle fut trop faible pour conserver la domination sur Gibraltar qui lui appartenait ; et il y a aujourd’hui plus d’un siècle qu’elle s’est vue forcée de le voir occupé, dans le seul et unique but de permettre à des étrangers de mettre à néant ses propres lois. A chaque page de son histoire nous trouvons la confirmation de cette leçon donnée jadis à Athènes et à Sparte, à Carthage et à Rome : que si nous voulons commander le respect pour nos droits personnels nous ne pouvons l’obtenir qu’en respectant nous-mêmes les droits d’autrui[2].

§ 11. — Phénomènes sociaux qui se révèlent dans l’histoire de la France.

Pendant plus de mille ans les souverains, les nobles et les

  1. Chaque page de l’histoire d’Espagne prouve que la folie de l’oppression est égale à sa perversité ; mais nulle part cette folie ne se révèle plus clairement que dans celles où sont rappelés les actes du duc d’Albe, dans les Pays-Bas, racontés par M. Motley dans un ouvrage récent.  « Tandis qu’il décimait chaque jour la population, il croyait en même temps possible de décimer chaque jour son industrie. Ses persécutions firent disparaître, du pays, les classes industrieuses qui en avaient fait cette république si riche et si prospère, telle qu’elle était encore, il y avait peu de temps, tandis qu’au même moment il trouvait, prétendait-il, une mine du Pérou dans la levée d’un impôt d’un dixième penny, sur chaque transaction commerciale des citoyens. Il croyait qu’un peuple frappé d’impuissance, comme celui-ci l’avait été par les actes du Conseil de sang, pouvait payer 10%, non pas chaque année, mais chaque jour, et non sur son revenu, mais sur son capital, non pas une fois seulement, mais chaque fois que la valeur constituant le capital changeait de main. Il se vantait hautement de n’avoir pas besoin de demander des fonds à l’Espagne, affirmant qu’au contraire il enverrait chaque année des remises au trésor royal de la métropole, au moyen des impôts et des confiscations ; et cependant malgré de pareilles ressources, et malgré l’envoi fait de Madrid par Philippe, de vingt-cinq millions d’or dans l’espace de cinq ans, le trésor des provinces était vide et en banqueroute, lorsque arriva le successeur du duc d’Albe. Requesens ne trouva, ni un denier dans le trésor, ni aucuns moyens de s’en procurer. » (Origine de la République de Hollande, t. II, p. 103.)
  2. L’Espagnol avait seul conservé en Europe la faculté d’envisager les actes d’une nation sous le même point de vue que ceux d’un individu, et de les apprécier en conséquence. Il ne demande pas ce que dit cette nation ou ce qu’elle entend faire,