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Tout le travail ainsi dépensé pour façonner l’immense machine n’est que le prélude de nouvelles demandes qui sont faites à celle-ci, et qu’accompagnent un revenu croissant et la hausse du salaire ; d’où il résulte que les portions de cette machine, telle qu’elle existe, s’échangent constamment, lorsqu’elles arrivent sur le marché, pour une somme de travail bien inférieure à celle qu’elles ont coûté. L’individu qui cultivait les terrains maigres se trouvait heureux d’obtenir cent boisseaux, en retour de son travail pendant une année ; mais avec les progrès accomplis par lui-même et par ses voisins au bas de la colline sur des terrains plus fertiles, le salaire a haussé, et l’on peut maintenant exiger 200 boisseaux. Sa ferme rapportera 1.000 boisseaux, mais elle exige le travail de quatre individus qui doivent avoir pour leur part chacun 200 boisseaux. En calculant sur un prix d’achat capitalisé depuis vingt ans, cela donne un capital de 4.000 boisseaux, ou l’équivalent d’un salaire de vingt ans, tandis qu’elle peut avoir coûté, si l’on tient compte de son travail personnel, de celui de ses fils et de ses auxiliaires, l’équivalent de cent ans de travail, ou peut-être bien davantage. Pendant tout ce temps, cette ferme les a tous nourris et vêtus ; et elle est devenue le produit d’accroissements insensibles qui ont eu lieu, d’année en année, sans qu’on y songeât ou qu’on s’en aperçût.

Elle a maintenant la valeur d’un salaire de vingt ans, parce que son propriétaire, pendant nombre d’années, en a retiré annuellement mille boisseaux ; mais lorsque durant une longue suite de siècles elle est restée inexploitée, accumulant le pouvoir de servir les besoins de l’homme, elle n’avait aucune valeur. Il en est de même partout à l’égard de la terre. Plus on en tire de richesse, plus on trouve qu’il en existe encore. Lorsque les mines de houille de l’Angleterre demeuraient intactes, elles étaient sans valeur. Aujourd’hui, elles en ont une presque illimitée ; et cependant la terre renferme d’énormes quantités de ce combustible, pour des milliers d’années. Il y a un siècle, le minerai de fer était peu estimé et l’on passait des baux moyennant des rentes presque nominales. Aujourd’hui malgré les quantités considérables qui ont été enlevées, ces baux sont regardés comme équivalents à la possession de grandes fortunes, bien que la proportion du minerai dont on connaît l’existence, en d’autres contrées, ait probablement augmenté au centuple.