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instants en Hongrie, nous voyons dans la Puszta le berceau, ou plutôt, ainsi que nous l’apprend tout récemment un voyageur, le donjon de la nationalité hongroise ; et là nous avons une vaste plaine qui s’étend de la Theiss au Danube, d’une contenance d’environ 15, 000 milles carrés, consistant en une série de monticules sablonneux qui semblent rouler et onduler comme des vagues, au point de confondre, pour les yeux, le ciel et la terre[1].

Au-delà de la Theiss, abondent des terrains fertiles où la vie ne se révèle que par la présence de troupes innombrables d’oiseaux sauvages, de grues, de canards et autres que l’on rencontre au milieu des roseaux   ; sur les bords, on aperçoit un vautour déchirant quelque charogne, parfois l’aigle hardi, ou l’épervier au vol lourd, et tous faisant à peine un mouvement à notre approche. C’est là un tableau de solitude désolée et d’un aspect assez triste, mais qui ne représente qu’une partie de ces immenses districts marécageux de la Hongrie, dont le drainage, sous l’influence d’une culture efficace, ferait reconquérir tant de terres fécondes, et qui, aujourd’hui, engendrent si fréquemment des fièvres mortelles et d’autres maladies[2].

  1. « Cette étendue ressemble en réalité au grand Océan solidifié. De lieue en lieue elle se déroule avec une triste uniformité qui oppresse l’âme, et que n’interrompt la vue ni d’un village, ni d’une maison, ni d’un arbre. Le nom sous lequel cette plaine est connue est celui de Puszta, qui veut dire vide ; et ce nom la peint fidèlement. Elle est aride, nue et désolée, et l’on n’y rencontre même pas un seul ruisseau. Çà et là se dresse contre le ciel la longue perche d’un puits à poulie, semblable au bras d’un fantôme ou au mât d’un navire échoué. Parfois un troupeau de bestiaux erre à l’aventure cherchant quelqu’herbage et gardé par les pâtres de la montagne. Le seul autre signe qui révèle la vie, c’est une grue ou une cigogne, se tenant sur une seule patte au milieu d’un marais blanchi par la soude pulvérulente, ou un vautour tournant dans les airs en quête d’une proie. Un silence profond règne sur la plaine, et lorsqu’il est interrompu par la voix du pâtre ou le mugissement des bestiaux, le son fait tressaillir ; car il part, on ne sait d’où, porté sur les ailes du vent…… Ses habitants sont des Hongrois purs et sans mélange, du même sang que ces Magyares qui, partis des plaines du fond de l’Asie, erraient dans ces régions cherchant de nouveaux champs et de nouveaux pâturages. Tout homme est cavalier et capable d’être soldat, ou prêt à le devenir pour la défense de son pays. Les habitants de la Puszta sont des pâtres qui conduisent, de pâturage en pâturage, de grands troupeaux de chevaux, de buffles, de taureaux blancs comme la neige, de moutons et de porcs, et qui vivent toute l’année sous la voûte des cieux. Les plus sauvages parmi ces hommes sont les porchers, et leur qualité distinctive la plus considérée est d’être des champions redoutables. Par dessus tout, ils sont les héros de la plaine, et leurs plaisirs mêmes sont belliqueux et sanguinaires. »
  2. Brace, Lettres sur la Hongrie, N. 12.