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LIII

MES RELATIONS

Je sais que pour beaucoup de raisons, et surtout à mon âge, je suis peu propre au commerce des hommes. D’abord parce que j’aime la solitude. Je ne suis jamais plus près de ceux que j’aime avec ardeur que lorsque je suis seul. J’aime Dieu et mon bon génie. Dans la solitude je les contemple : Dieu, bien infini, sagesse éternelle, principe et créateur de la pure lumière, joie vraie en nous de qui nous ne redoutions pas d’être abandonnés, fondement de la vérité, amour volontaire, auteur de toutes choses, qui est heureux (316) en lui-même et qui est la sauvegarde et le désir de tous les bienheureux, justice très profonde ou très haute, qui a soin des morts sans oublier les vivants. Quant à mon esprit, qui me défend sur l’ordre de Dieu, il est miséricordieux, bon conseiller, et, dans les malheurs, il me donne ses secours et ses consolations.

Quel homme peut-on me proposer, de m’importe quelle condition, qui ne porte pas continuellement au dedans de lui un sac d’excréments et un vase d’urine ? La plupart, même les plus considérés, ont le ventre plein de vers ; beaucoup d’entre eux, et, pour faire une distribution équitable, beaucoup de celles qui savent plaire, fourmillent de poux ou puent, qui des aisselles, qui des pieds, qui de la bouche. Quand je pense à cela, quel mortel pourrais-je aimer — en considérant le corps — ? Un petit chien ou un chevreau est beaucoup plus propre et plus sain.

Mais si je m’attache à l’âme, quel animal est plus fourbe, plus méchant, plus trompeur que l’homme ? Je laisse ces parties de l’âme qui sont sujettes aux passions et je veux aimer l’intelligence. Mais quelle intelligence est plus pure, plus haute, plus sûre que l’intelligence divine et peut, comme elle, enseigner le vrai ? Les bibliothèques sont pleines (317) de livres, les âmes vides de science. On copie, on n’écrit pas : ce qui manque ce ne sont pas les