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être les véritables raisons sont-elles différentes. On le voit d’après ce que dit Cicéron dans ses lettres à Atticus : Brutus supportait mal beaucoup d’événements, se chagrinait des conséquences, ce qui n’aurait pas été s’il n’avait eu que la gloire pour but. Il se plaignait injustement que la fortune eût préféré Antoine, qui avait passé toute sa vie à combattre, à lui qui s’appliquait tranquillement à l’éloquence. Les paroles des hommes courageux sont sans ordre et sans art, mais le sens en est vigoureux, suivant le mot adressé à Néron que rapporte Tacite. Aussi, quelle folie de la part de Brutus que de chercher dans la guerre civile une place à la vertu : quand on ne peut trouver un homme heureux dans une ville cernée par les ennemis, on le trouverait bien (297) moins dans une ville où règne l’émeute. Et, bien que le bonheur ne se trouve pas dans la fortune mais dans la vertu, la fortune en s’opposant, dresse plus d’obstacles que la vertu n’apporte de secours.

Trois éléments surtout modifient le caractère : l’âge, la fortune, le mariage. Aussi prends garde : la fréquentation des hommes est comme un fer rougi ; tenu dans les mains, il n’est rien de pire, battu au marteau il procure un gain au forgeron, de l’utilité aux autres.

THRÈNE SUR LA MORT DE MON FILS

Qui t’a ravi à moi, mon fils bien-aimé ? Qui a pu causer tant de larmes à ma vieillesse ? Quelle âme fut si cruelle ? Cruels destins ! qui voulurent trancher cette fleur naissante ! Calliope ni Apollon ne t’ont sauvé. Que la cithare et les chants et les flûtes sonores se taisent, (298) qui réveilleraient mes soupirs pour mon cher enfant : je me souviens des chants qu’il modulait d’une douce voix. À quoi t’ont servi le laurier qui t’a consacré médecin, tant de connaissances et un rare talent d’élocution en latin, si, d’un trait, le fruit de ces longs travaux est maintenant perdu ? À quoi t’a servi d’avoir sauvé les chefs espagnols ? ou tes concitoyens éminents, si un citoyen et un duc espagnol ont présidé au supplice où tu tombas ensanglanté sous la hache impitoyable. Hélas ! que faire ? Mon âme succombe, fils bien-aimé, quand, silencieux, je réfléchis à ton destin cruel. Et je n’ai pas pu exprimer mes pleurs dans un livre. (299) Ah quel crime ! On m’arrache