Page:Cardan - Ma vie, trad. Dayre, 1936.djvu/381

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Efforce-toi de faire que ton livre satisfasse à l’usage, et que l’usage l’améliore. Ainsi seulement il est achevé.

À qui me disait : j’ai pitié de toi, je répondis : tu n’as pas motif de le faire.

Le mal est le défaut de bien ; le bien est en soi une vertu qui est en notre pouvoir, ou encore il est ce qui est nécessaire.

Si tu n’as eu ni richesses, ni enfants, ni amis et que tu aies d’autres biens, tu es heureux ; si le reste te manque aussi, tu n’iras pas loin.

Les arts sont nombreux, mais il y a un seul art qui domine tous les arts : c’est de parler par principes généraux, à l’aide de quoi on peut dire beaucoup en peu de mots, exprimer clairement ce qui est obscur, substituer le certain à l’incertain. Mais trois conditions sont nécessaires : que tous ces principes généraux concourent à cet art unique, qu’ils s’adaptent l’un à l’autre convenablement, enferment tout le sujet et le délimitent ; il faut aussi qu’ils soient propres à l’usage qu’on en veut faire, seule condition négligée par Aristote à cause de la pauvreté de la science de son époque. On se souviendra aussi qu’on peut donner quelque chose à l’agrément, dans l’histoire par exemple.

(295) Beaucoup se plaignent à tort de la vertu en disant qu’elle est aux ordres de la fortune ; d’autres estiment qu’elle est maîtresse du bonheur. Voici des paroles dignes de l’orgueilleux : « La sagesse triomphe de la fortune. Mais nous dirons qu’ils sont heureux aussi ceux qui ont appris à supporter les maux de la vie sans secouer le joug… » Il y a là deux erreurs : la première est d’enseigner que la sagesse (si l’on entend la nôtre) est plus puissante que la fortune, quand chaque jour nous faisons l’expérience contraire ; la raison en est qu’en toute chose la fortune s’offre tout entière et déploie ses forces tandis que nous n’avons qu’une frêle petite pousse de sagesse. La fortune n’est donc pas plus puissante que la sagesse, mais notre sagesse, encore moins, triomphe de la fortune ; bien mieux, la fortune cède spontanément à la sagesse divine et n’ose mettre le pied là où elle flaire que celle-ci est passée. Je ne trouve pas justes les paroles de Brutus mourant : « (296) Malheureuse vertu qui n’a que des mots à ton service, pourquoi dans ta conduite suis-tu la fortune comme une maîtresse ? » Quoique Plutarque apporte le témoignage d’Antoine, d’après qui Brutus aurait été seul à prendre part au meurtre de César pour la gloire du geste, les autres agissant par jalousie, peut-