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montais en voiture ― j’eus envie d’uriner. Après avoir fini, quand je voulus rattacher mes chausses, je n’y réussis pas. Ennuyé du contretemps, je vais pour acheter de ces cordons dans les boutiques, — il y en avait trois, sauf erreur, au voisinage de ma maison ; — je n’en trouve nulle part. Embarrassé sur ce que je ferais, (283) je me souviens des paquets. Je demande la clef à mon gendre, il me la donne, j’ouvre mon coffre dont la serrure allemande était difficile, je trouve les aiguillettes, et voilà que je remarque les tas de tous mes manuscrits, que j’y avais cachés avec l’intention de les emporter quand je partirais plus tard. « Je restai interdit, mes cheveux se hérissèrent et ma voix s’arrêta dans ma gorge. » Je les pris, je les emportai, je commençai mes leçons. Au début de décembre des lettres arrivèrent : pendant la nuit le coffre avait été fracturé, et tout le contenu emporté. Sans les aiguillettes, je ne pouvais enseigner, je perdais mon emploi, j’aurais mendié, toutes mes œuvres auraient disparu, je serais mort bientôt de désespoir. Et tout cela a dépendu d’un rien. Ô condition, ou pour mieux dire, ô misère humaine !

Pour connaître les caractères des hommes, leur goût pour les sciences et leur degré de culture, tu devras tenir compte de leur nature, de leurs lois et de leurs habitudes. Les ignorants sont simples et obstinés, à cause de quoi ils se tiennent (284) aux extrêmes ; excellents quand ils sont bons, car ils ne se laissent pas corrompre ; détestables quand ils sont mauvais, ils ne sont ni gagnés par la raison, ni ébranlés par la persuasion ; à l’égard des plaisirs de Vénus ils sont abominables, et ignobles dans la gourmandise ; dans la colère ils sont impitoyables, les pauvres par cupidité, les riches par ambition ; par ailleurs ils sont indolents, grossiers, envieux, et, comme tels, malfaisants et avares. Parmi ceux qui sont sous l’autorité des tyrans, les puissants vivent en s’efforçant de s’emparer du bien d’autrui, les pauvres de garder ce qui leur appartient. Là où règne la cupidité, il n’y a ni amour, ni bonne foi, ni miséricorde ; l’audace unie à la colère rend cruels, la paresse rend dégoûtants, surtout associée à la gourmandise et à la luxure. La nécessité et l’habitude rendent laborieux, le dénuement ingénieux. Si les lois éloignent les hommes des sciences, que l’activité pratique soit honorée et que l’ambition ait une place, par exemple sous un gouvernement aristocratique, ils s’adonnent aux arts et aux métiers, surtout quand le pays a des ressources variées. Dans une