trompe pas ; de la seconde, comme du mal suprême, qui nous force à mépriser tout le reste, qui est assuré et qui mettra fin à nos maux. Le second moyen est de prendre plusieurs appuis, pour que, si (281) l’un est détruit, tu ne tombes pas ou tu ne deviennes pas l’esclave des tiens. Le troisième de juger les choses non d’après la quantité, mais d’après la qualité : il faut en effet préférer les humbles débuts de grandes choses à ce qui, grand en apparence, est moindre par essence. Étant donné qu’on a divers besoins, et qu’il n’est pas possible de les satisfaire tous, il ne faut s’attacher sans mesure à aucun d’eux, mais prendre pour but la nécessité et la sécurité. Par suite, il ne faut pas rechercher tous les biens également, mais à proportion de leur valeur, par exemple la vertu parce qu’elle n’a besoin d’aucun secours, les richesses parce qu’elles aident à tout. Le sixième moyen est l’éducation, qui peut beaucoup sur les enfants. Mais si rien n’a eu d’effet utile, que tes enfants soient naturellement méchants et stupides, rebelles par goût de la liberté, et que, déjà grands, ils soient paresseux, que tu en aies un seul et que tu sois un vieillard, voilà le plus grand des malheurs, si tu y ajoutes la pauvreté, les procès, le patrimoine dispersé, ou les temps malheureux : tous ces maux, sauf le dernier, sont maintenant mon partage. Dans ces conditions, je prétends qu’il y a d’autres secours, outre ceux que j’ai indiqués : d’abord, considérer que tu pourrais être dans un plus grand besoin, si tu n’avais rien ; ensuite te hâter de trouver un Scipion parmi les tiens, par exemple une bru ou un parent éloigné (dans ce choix il convient de ne pas se méprendre) ; puis, (282) comme si tu renaissais après tant de sottises, te donner tout entier à cette tâche.
Pour conclure brièvement, puisque dans cette vie tout est mesquin et vain, chaque circonstance de nos actions, même dans celles que l’on néglige, dépend de conditions passagères. Cela est surtout vrai en ce qui me concerne. J’en aurais bien d’autres exemples, mais je n’en ferai connaître qu’un seul. En 1562, le 15 octobre si je ne m trompe, j’étais à Milan et j’allais partir pour Bologne. Six jours avant environ, j’avais perdu la garniture de laiton des cordons dont je me servais pour attacher mes chausses au plastron, et je m’en étais d’autant moins occupé que j’étais plus pressé par mes affaires. J’avais pourtant fait acheter, la veille du jour où la garniture était tombée, six petits paquets de ces aiguillettes pour les emporter à Bologne. Au jour et à l’heure du départ, — ou plutôt juste au moment où je