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j’ai traité de la proportion confuse et réciproque des quantités infinies avec les finies, et la réduction en quantités finies, quoique cette méthode ait été déjà découverte par Archimède[1]. En musique j’ai trouvé de nouveaux modes ou plutôt j’ai remis en usage, d’après Ptolémée et Aristoxène, ceux qui avaient été trouvés autrefois.

Dans la philosophie naturelle[2], j’ai ôté le feu du nombre des éléments. J’ai enseigné que tout est froid ; que les éléments ne se transforment pas l’un en l’autre, mais se renouvellent (palingénèse[3]) ; que les qualités vraies ne sont que deux, le chaud et l’humide. J’ai fait connaître les propriétés du sel et de l’huile. J’ai montré qu’il n’y a pas dans les mixtes d’autre principe de la génération des animaux parfaits que la chaleur céleste ; que Dieu doit être appelé incommensurable ; que tout ce qui a des parties disposées selon un ordre possède âme et vie ; que l’immortalité de notre âme selon les philosophes est réelle et non vaine comme une ombre ; que tout est organisé d’après un nombre fixe, comme les feuilles et les graines dans les plantes ; que le principe de similitude est le mode d’action d’un (237) agent ou d’une matière, et que de là dérive tant de variété et de beauté ; que la terre existe comme élément séparé et non comme un mixte avec l’eau, et que, par suite, elle fait saillie souvent dans des régions opposées. J’ai expliqué pourquoi l’orient est supérieur à l’occident ; pourquoi lorsque le soleil s’éloigne après le solstice, la chaleur aussi bien que le froid augmentent pendant plusieurs jours ; ce qu’est le destin et comment il agit. J’ai trouvé les causes de phénomènes étonnants ; par exemple dans mille coups de mille dés non truqués on obtient nécessairement un résultat toujours identique[4] ; toutes les feuilles de plantes pourries engendrent suivant leur nature des animaux différents ; la nature n’est rien qu’une chose imaginaire et vide, principe de beaucoup d’erreurs, introduit par Aristote uniquement pour ruiner par un mot l’opinion de Platon. Parmi les innombrables autres découvertes, la plus importante est que j’ai enseigné à ramener l’observation des choses de la nature à une méthode et à des règles pratiques, ce que personne avant moi n’avait tenté.

Dans la philosophie morale, j’ai posé l’égalité non seulement de tous les hommes mais de tous les êtres vivants, d’où naturellement on peut conjecturer une compensation des (238) actions après la mort ; j’ai enseigné l’utilité que tirent les hommes de leurs malheurs, quelle

  1. Sur ces découvertes en mathématiques, De libris propriis III (I, 112).
  2. Un résumé méthodique de cette partie de l’œuvre de Cardan a été donné par Rixner et Siber, Leben u. Lehrmeinungen berühmter Physiker um Ende des XVI. u. am Anfang des XVII. Jahrhunderts, II. Heft, Hieronymus Cardanus, Sulzbach, 1820, in-8, XII-244 pp.. — Cf. aussi Libri, Histoire des mathématiques, II, 169 sqq. ; Duhem, Origines de la statique, I, 34-60.
  3. Variamque subire sortem quam παλιγγενεσίαν tu uocare soles, fait-il dire à son interlocuteur dans le Dialogus de Morte (I, 677).
  4. Est-ce un énoncé de la loi des grands nombres ?