automne. Je me mis à grimper, péniblement au début, car le bas de la montagne ou plutôt de la colline était très escarpé ; ensuite, cette partie dépassée, je montai facilement. Quand j’étais déjà au sommet de la montagne et que j’allais le franchir dans un élan de volonté, des rochers nus et abrupts apparurent ; et pour un peu je me serais précipité dans un gouffre profond, si sombre et si affreux que le souvenir de ce rêve, après quarante ans passés, m’attriste et m’effraie. Aussi, tournant vers la droite où le terrain n’apparaissait couvert que de bruyères, j’avançais avec crainte, sans savoir quel chemin prendre, quand je m’aperçus que je me trouvais à l’entrée d’une chaumière rustique, couverte de paille, de joncs, de roseaux. Je tenais par la main un enfant de douze ans environ, portant un vêtement couleur de cendre. À ce moment cessèrent tout ensemble mon sommeil et mon rêve. Ce rêve constituait évidemment un présage de l’immortalité de mon nom, des peines immenses et continuelles, de l’emprisonnement, des grandes craintes et de la tristesse qui m’attendaient ; au total une existence pénible, ce qu’indiquaient (173) les cailloux, inféconde ce qu’indiquait le manque d’arbres et de plantes utiles, mais agréable pourtant, égale et unie. Il me promettait pour l’avenir une gloire éternelle car la vigne donne une récolte chaque année. Cet enfant, si c’était un bon génie, était un présage favorable car je le tenais étroitement ; si c’était mon petit-fils le présage était moins bon. Cette masure dans la solitude représentait l’espoir de la tranquillité. Mais cette épouvante et ce précipice pouvaient aussi signifier le malheur de mon fils dont le mariage causa la perte : il n’est pas admissible de supposer que ce malheur eût été omis dans mon rêve. Ce premier rêve me vint à Milan.
Le second, je l’eus peu après dans la même ville. Il me semblait que mon âme se trouvait dans le ciel de la lune, dépouillée du corps et isolée, d’où mes plaintes. J’entendis la voix de mon père qui disait : « Dieu m’a donné à toi comme gardien. Tout ici est plein d’âmes que tu ne vois pas, comme tu ne me vois pas, mais à elles tu ne peux pas parler. Tu resteras dans le ciel sept mille ans, et tout autant dans chacune des sphères jusqu’à la huitième, ensuite tu parviendras au royaume de Dieu. » Je l’interprétai ainsi : l’âme de mon père est mon génie tutélaire (qu’y aurait-il de plus bienveillant et de plus favorable ?) ; la Lune c’est la grammaire ; Mercure (174) la géométrie et l’arithmétique ; Vénus, la musique, l’art de la divination et la poésie ; le Soleil, la