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je ne devais pas quitter la ville ; différemment, je n’aurais accepté d’aucune façon, soit qu’il eût fallu quitter ma patrie, soit que j’eusse eu un concurrent. En effet, je n’avais jamais enseigné jusqu’alors, sauf les mathématiques, et encore (166) les seuls jours de fête ; j’aurais dû abandonner mon gain quotidien dans la ville, subir les embarras d’un déménagement et courir le danger de me perdre de réputation[1]. Pour ces raisons, l’année suivante je ne voulais pas m’éloigner de ma patrie, mais (qui le croirait ?) la nuit qui précéda le jour où le Sénat envoya quelqu’un s’informer de ma décision, toute ma maison s’écroula à l’exception de la chambre où je dormais avec ma femme et mes enfants. Ainsi, ce que je n’aurais jamais fait de mon plein gré et que je n’aurais pu faire sans honte, je fus obligé de l’accepter à l’étonnement de ceux qui furent informés.

Je raconterai un autre exemple (quoique ma vie soit remplie de pareils), mais d’un autre genre. Je souffrais, et depuis longtemps, jusqu’à désespérer de ma vie — comme je l’ai dit ailleurs, — d’un empyème purulent. J’avais lu dans les notes de mon père que si, la 25 mars de bon matin, on priait à genou la Sainte Vierge d’intervenir auprès de son fils pour une faveur licite, en ajoutant l’oraison dominicale et la salutation angélique, on obtiendrait ce qu’on demandait. J’observai (167) l’heure et le jour, j’exprimai mes prières et bientôt après, le jour de la Fête-Dieu de la même année, je fus complètement guéri. Une autre fois et bien plus tard, me souvenant de ce qui s’était passé, je suppliai la Sainte Vierge de me guérir de la goutte (c’était précisément de cette maladie que mon père citait deux exemples de guérison) ; j’en eus un grand soulagement et ensuite je guéris. Mais dans ce dernier cas je me servis aussi des secours de l’art.

Je donnerai de ces prérogatives quatre exemples, quatre admirables expériences qui se rapportent à mon fils. Le premier date de son baptême ; le second de sa dernière année ; le troisième de l’heure même où il avoua son crime ; le quatrième dura du jour où on l’arrêta au jour de sa mort. Il naquit le 14 mai 1534 et, comme je craignais pour sa vie, je le fis baptiser le 16 qui fut un dimanche[2]. Un clair soleil brillait dans la chambre ; c’était entre la cinquième et la sixième heure du jour. Suivant l’habitude, tout le monde était rassemblé autour de l’accouchée, sauf un jeune domestique ; on avait tiré le rideau de toile de la fenêtre et il touchait le mur. Un (168) gros taon entra, vola autour de l’enfant, à la grande frayeur de tous les présents, mais

  1. D’après les XII genitur. ex. (V, 523) le résultat sembla justifier cette crainte : Res omnino infeliciter cessit, extra Academiam, sine auditore, inexpertus.
  2. Le 16 mai 1534 était un samedi. De libris propriis III (I, 98) donne exactement die domini proxima, scilicet XVII, sacro fonte leuatus est.