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mon remède. Je rappelle le domestique, qui n’était pas encore à quatre pas de la porte, en disant que je voulais ajouter quelque chose. Je déchire d’abord furtivement la première ordonnance et j’en compose une seconde avec des perles fines, de l’os de licorne et des pierres précieuses en poudre. On administre cette poudre, l’enfant la vomit. Les assistants comprennent que l’enfant est en danger. On fait appeler trois médecins distingués dont un, moins hostile à mon égard, m’avait assisté dans la cure du (149) fils Sfondrato[1]. Ils examinent l’ordonnance et — que voulez-vous ? — bien qu’ils fussent deux à me haïr, Dieu ne permettant pas que les choses aillent plus loin, ils déclarent le remède excellent et ordonnent de le faire prendre encore. Ce fut mon salut. Le soir, en venant, je fus informé de tout. Lo lendemain, à l’aube, on m’appelle. Je trouve l’enfant agonisant et son père prostré et pleurant. « Voici, dit-il, celui que tu ne croyais pas malade (comme si j’avais rien dit de tel). Du moins ne l’abandonne pas tant qu’il vit. » Je le lui promis. Je m’aperçus peu après que deux gentilshommes le retenaient. Il essayait de se dégager en criant ; ils tinrent bon. Il me rendait responsable de ce malheur. Bref, si j’avais employé le remède, diarob et turbith, qui n’était pas sûr du tout, c’en était fait de moi, puisque tant qu’il vécut il fit sur mon compte de telles plaintes que tous me fuyaient « comme si j’avais été touché du souffle de Canidie, plus dangereuse que les serpents africains ». Ainsi j’esquivai la mort ; et le dommage que je souffris de cette honte, je le compensai par l’étude et, dans la suite, je n’eus pas à le regretter.

Je ne croirais pas que ce songe, comme tout ce que j’ai raconté plus haut, ait été fortuit, (150) mais il est aisé d’y voir les avertissements à une âme pieuse que Dieu ne voulut pas abandonner dans l’excès de ses malheurs. Ce fut pour moi un aiguillon, du moment que la vision s’accordait avec l’événement. La maison du comte située sur la place de Santa Maria Pedone est toute peinte de serpents, pour rappeler la vipère qu’il avait ajoutée aux anciennes armes des Borromée.

De même, nous les Cardan, nous eûmes autrefois pour armoiries une citadelle de gueules, avec les tours et la tourelle supérieure du milieu de sable, sur champ d’argent. La tourelle les distinguait de celles des Castiglioni dont le nom glorieux est représenté par un lion dressé sur un château. L’empereur accorda aux Cardan un aigle

  1. Plus loin chap. XL.