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médecins, les peintres et, d’une façon générale, dans tous les arts, d’où le dicton que l’honneur nourrit les arts[1] ; deuxièmement, parce que parfois les honneurs garantissent d’un danger, comme le font les collèges et les associations pour ceux que tourmente une envie acharnée, la calomnie ou une injuste condamnation ; troisièmement, les honneurs donnent un surcroît de pouvoir, ce qui se trouve surtout dans l’armée, et dans certaines magistratures où les changements se font au choix, comme on dit, (138) et par échelons successifs ; d’une façon générale, ils sont utiles pour effacer une flétrissure et une honte dont les désavantages sont pires que ceux des honneurs, ou par les profits qui dérivent de circonstances accessoires, ou bien lorsqu’on se trouve en un lieu où on est inconnu ; quatrièmement, quand on peut les remplir par sa seule valeur et sans que le soin qu’ils entraînent soit une gêne.

Le sort ne fut pas avare envers moi de faveurs de ce genre. Étant enfant, quand je me rendais au village de Cardano, j’avais une nombreuse escorte, sorte de présage de ma fortune. Dès que j’acquis la connaissance des lettres latines, je fus connu dans notre ville. Ensuite lorsque je fus à Pavie, nombreux étaient ceux qui spontanément me faisaient cortège. Et je reçus des offres telles que, si je les avais embrassées, la voie m’aurait été ouverte vers de grands honneurs auprès du pape Pie IV. Mes disputes publiques furent assez heureuses et Matteo Corti y prit part pour me faire honneur. J’enseignai les mathématiques, mais un an seulement parce que l’Académie fut licenciée[2]. En 1536, je fus appelé auprès du pape Paul III. À ce moment là j’enseignais depuis deux ans les mathématiques, géométrie, arithmétique, astrologie, architecture[3]. (139) En 1546, le cardinal Morone m’offrit une chaire à Rome où j’aurais également touché des honoraires pontificaux. L’année suivante, André Vésale et l’ambassadeur de Danemark me proposaient un traitement annuel de 300 écus d’or hongrois, une indemnité de six écus provenant des impôts sur le commerce des fourrures (ces derniers offrent avec la monnaie royale une différence de valeur du huitième, on les négocie moins facilement, moins sûrement et ils sont soumis en partie aux hasards [du commerce]) ; j’aurais en outre reçu le vivre pour moi, cinq domestiques et trois chevaux. La troisième proposition me fut faite en Écosse : j’ai honte d’énoncer la somme, mais en peu d’années j’aurais été riche. Je n’acceptai pas d’aller au Danemark parce que

  1. Cicéron, Tusc., 1, 2, 4.
  2. Il s’agit des commentaires d’Euclide dont il fut chargé à Pavie en 1522. L’année suivante l’université chôma du fait des guerres. Cf. chap. IV.
  3. À la fondation Piatti. Voir chap. IV et note 5.