Page:Cardan - Ma vie, trad. Dayre, 1936.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

second, bien que moins habile, est aussi musicien et, avec les autres, il complètera toujours le chœur des enfants ». « Laissez-moi, dit alors Ercole à ses interlocuteurs (ils étaient deux), dire un mot à mon maître » ; et il vint, informé de tous points. Si je n’avais été tout à fait fou ou insensé, je pouvais facilement comprendre ce qu’on machinait ; et pourtant, même alors, je ne remarquai rien. Je me bornai (parce que Ercole me le conseilla) à ne pas prêter mes deux domestiques. Ils s’en allèrent, car Ercole leur répondit que le second de ces garçons ne connaissait pas une note de musique. Quinze jours après, ou guère plus, ils reviennent et me demandent de leur prêter ces garçons parce qu’ils voulaient représenter une comédie. Alors Ercole revint me trouver en disant : « Maintenant l’affaire est claire. Ils veulent éloigner tous les domestiques de votre table pour vous empoisonner. Il ne faut pas se contenter (124) d’être sur ses gardes pour des ruses de ce genre, mais le rester en toute circonstance. Il n’est pas douteux qu’ils s’acharnent à votre perte. » — « Je le pense », répondis-je, et pourtant je ne pouvais pas me convaincre d’une chose si grave. « Que dirai-je ? » demandai-je à Ercole. « Que vous avez besoin de vos domestique », dit-il. Et sur cette réponse les autres partirent. Enfin, à ce que je crois, au cours de nombreuses délibérations on décida de me perdre tout à fait. C’était un samedi, le 6 juin si je ne me trompe[1]. Vers le milieu de la nuit je me réveille, je m’aperçois que je n’avais plus ma bague sur laquelle était monté une hyacinthe, j’ordonne à mon domestique de se lever et de chercher. Il cherche inutilement. Je me lève, je lui commande d’allumer la lumière. Il va et revient en disant qu’il n’y a plus de feu. Je le menace violemment et lui commande d’aller chercher encore. Il arrive joyeux, portant avec des pincettes du feu, c’est-à-dire un charbon allumé de la grosseur d’un pois. Je lui dis que ce n’est pas suffisant, il répond qu’il n’y en a pas d’autre, et je lui commande de souffler dessus. Après avoir soufflé trois fois et avoir perdu l’espoir de tirer une flamme, comme il éloignait la chandelle du feu, une grande flamme jaillit et alluma la chandelle. Je lui dis : « As-tu remarqué, Giacomo Antonio ? » (c’était son nom) — « Certes », répondit-il. « Quoi donc ? » lui dis-je. — « (125)Que la chandelle s’est allumée bien que le charbon n’ait pas donné de flamme. » — « Eh bien, dis-je, fais attention qu’elle ne s’éteigne pas de nouveau. » Nous cherchons la bague, nous la trouvons par terre au dessous du lit, vers le milieu,

  1. La date est exacte pour 1562.