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j’allais armé sous mes vêtements quand, à la deuxième heure de la nuit, je fis un faux pas et tombai dans la mer. Sans perdre (113) la tête, j’étendis la main droite qui saisit une poutre. Sauvé par ceux qui m’accompagnaient, je monte sur un bateau et j’y trouve (ô miracle !) l’homme avec qui j’avais joué, le visage bandé à cause de sa blessure. Il m’offrit spontanément des vêtements de marin, je les mis et je rentrai à Padoue en sa compagnie[1].

À Anvers, comme je voulais acheter une pierre précieuse, je tombai dans une fosse (je ne sais pour quelle raison ou quelle destination elle se trouvait dans la boutique). Blessé et meurtri à l’oreille gauche, je pardonnai assez aisément l’incident, car le dommage n’était que superficiel.

En 1566, à Bologne, je sautai de ma voiture qu’il n’était plus possible d’arrêter dans sa course. J’eus l’annulaire de la main droite brisé, le bras contusionné assez pour ne pouvoir plus le plier de quelques jours ; puis la douleur passa au bras gauche, le droit restant sans dommage. Le plus étonnant, c’est que, neuf ans après, sans cause, comme un avertissement, cette douleur reparut à droite ; et maintenant j’en souffre encore. Quant au doigt, sans l’emploi d’aucun remède, je n’y ressens plus aucune gêne et il n’a gardé qu’une légère déformation.

Que dirai-je du risque que je courus du fait de la peste (114) en 1541 ? J’avais visité un serviteur du colonel Dell’Isola, noble génois, lequel serviteur était arrivé de Suisse infecté pour avoir dormi entre deux malades, morts plus tard. Ignorant la nature du mal, j’avais ensuite porté le dais de l’empereur[2] à son entrée dans Milan, en ma qualité de recteur du Collège des médecins. Quand la maladie fut connue, le colonel voulait que le mort — on le considérait déjà comme tel — fût caché à la campagne. Je refusai d’y consentir, ne craignant rien tant que la fraude et ses suites. Et, avec l’aide de Dieu, le malade, grandement aidé de ma paternelle assistance, se rétablit contre tout espoir.

Que dire encore de ce qui m’arriva en 1546 et qui tient du prodige ? Je revenais, presque débarrassé de souci, d’une maison où la veille un chien m’avait touché de ses dents, mais sans me blesser. Comme il s’était jeté sur moi furtivement et sans aboyer, je craignais qu’il ne fût enragé. Aussi lui avais-je offert de l’eau qu’il avait refusée, mais sans s’enfuir, et il avait mangé une cuisse de chapon qu’on lui avait présentée sur mon ordre. Sur ces entrefaites, je vois

  1. Un autre récit de cette aventure donné dans Liber XII Genitur. (V, 521) diffère de celui-ci par quelques menus détails, mais surtout est plus clair et les circonstances de l’accident s’enchaînent mieux.
  2. Dans la description fort détaillée que donne Bugati de cette entrée solennelle (Historia universale, livre VII, p. 1896) on lit : dietro… seguina Cesare sotto il Baldachino di broccato graue, portato da otto dottori co’loro coadintori a vicenda.