Page:Cardan - Ma vie, trad. Dayre, 1936.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

XXII

RELIGION ET PIÉTÉ

(86) Je suis né en des temps si troublés, j’ai rencontré tant d’occasions tout en étant accablé par la pauvreté, j’ai été dans tant de voyages en contact avec des hommes indifférents et même hostiles à la religion, que la solidité inébranlable de ma foi doit être attribuée à un miracle plus qu’à ma sagesse, à un secours divin plus qu’à ma vertu. Assurément, dès ma petite enfance j’avais adopté cette prière : « Seigneur Dieu, dans ta bonté infinie donne-moi une longue vie, la sagesse et la santé de l’esprit et du corps ». Il n’y a donc rien d’étonnant si j’ai observé strictement les préceptes de la religion et le culte de Dieu. Je parais avoir reçu d’autres dons, mais dans des conditions telles qu’ils appartiennent avec évidence à un autre plutôt qu’à moi : bien portant, tout en ayant été constamment malade ; savant — pour parler ainsi — dans les sujets où je ne me suis pas appliqué et que je n’ai appris de personne, plus que dans ceux où j’ai cherché des maîtres. Plus zélé encore (87) dans ma piété, j’ai combattu contre la mort de mon fils et la douleur qu’elle m’a causée : il devait mourir ; et la même année, si je ne me trompe, peu s’en fallut qu’il ne mourût sans héritier ; maintenant il m’a laissé un petit-fils. Mais qu’ajouterai-je ? Pourquoi comparer les misères et les douleurs des mortels aux délices des immortels ? Dirai-je naïvement que, s’il n’avait rien laissé derrière lui et s’il n’était pas mort à ce moment, il aurait toujours survécu ? Et quoi donc ? s’il me reste quelque chose de lui, qu’ai-je perdu ? Ô raisonnements insensés des hommes ! Ô délires funestes !

Et je ne garde pas seulement le souvenir de la majesté divine, mais celui de la bienheureuse Vierge Marie et du Bienheureux Martin, dont la protection — j’en ai été averti par un songe — m’assurera un jour une vie plus tranquille et éternelle. Je résume ici une longue dissertation que j’ai autrefois