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petit à petit, à se familiariser avec des impressions d’un ordre si nouveau pour lui et si déconcertant. Que faisait après tout que Léontine eût une existence propre ! Il n’en pouvait aller différemment. Quel être au monde, même dépendant d’un autre, n’a pas d’abord sa vie particulière ? Lampieur n’avait pas à s’en étonner. Lui-même était un de ces êtres ; il ne l’ignorait pas… Seulement il avait si longtemps vécu hors des réalités et dans une atmosphère de soupçons et de craintes qu’il ne comptait plus qu’avec eux et les fantômes qu’ils engendrent. De cela venait sa surprise et elle s’était manifestée par l’embarras où Léontine avait vu Lampieur, quand celui-ci s’était assis tout à l’heure auprès d’elle et n’avait plus soufflé mot.

Pourquoi se taisait-il ? Léontine en cherchait la raison et ne la trouvait pas. Pourtant, puisque Lampieur l’avait accompagnée jusque dans cette chambre c’est qu’il tenait à lui parler ?… N’allait-il pas le faire ? Ce silence, à la fin, devenait intolérable ; il n’était pas de circonstance ; il gênait, il effrayait Léontine.