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La Goule

Cheveux chargés d’une dorure brutale, j’ai vu les goules attendre dans la nuit. Le vent secouait leurs jupes. Il inclinait parfois la flamme rouge des becs de gaz sur leurs visages de craie. Cela descendait comme une ombre, une ombre brusque, une ombre de sang et, derrière les silhouettes, d’étranges formes sautaient sur le mur. Puis les ténèbres devenaient compactes.

Dernières banlieues, abattoirs, usines, casernes ! Les quais sont morts. Les grands peupliers sinistres craquent de toutes leurs vertèbres tourmentées. C’est une bien frissonnante musique dans ce décor. On croirait à de grinçantes apparitions, à de mauvais fantômes, à des squelettes qui claquent.

Le vent durcit la neige boueuse.

À nouveau les petites flammes du gaz se convulsent dans leurs cages de verre.

Mais les ombres sont lasses de s’étirer en élastiques rapides : elles voudraient dormir au pied des arbres et des poteaux, se recroqueviller menu par ce grand vent d’hiver qui les cogne entre elles et les fait tourbillonner en hâte sur les talons des goules éreintées.

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