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Le Bar

De grosses tulipes de lumière jaune ruissellent, écrasées dans les glaces. J’aime ce bar de métal clair, d’une ligne sobre et colorée. Des citrons, qu’on épluche, répandent une attirante odeur d’éther. D’autres aromes plus lourds ajoutent à cette odeur et la composent davantage.

Mais, au-dessus du bar, dans une galerie, deux femmes en peignoir annoncent un spectacle :

« Venez voir le nu esthétique, le joli nu, le nu d’la dame, venez voir… un franc, Messieurs ! »

Vraiment cela n’accroche personne. Et les deux femmes allant et venant dans la galerie font un tapage d’oiseaux prisonniers. Elles ont beau laisser tomber assez bas leur peignoir et montrer de grasses et blanches épaules, elles peuvent, acharnées au gain, draper un aspect vivant d’elles-mêmes, et l’offrir pour vingt sous, on ne marche pas…

On ne marche plus, c’est fini, c’est claqué… cette histoire.

…Elles appellent toujours et j’éprouve une joie silencieuse à les entendre se démener en vain… femmes, ô beaux oiseaux fardés et querelleurs enfermés dans une volière charmante.

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