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Vénus des carrefours, efflanquée, mauvaise et maquillée, aux cheveux en casque, aux yeux vides qui ne regardent pas, mais aux lèvres plus rouges que le sang et que la langue mince caresse, tu m’as connu flairant l’ombre que tu laissais derrière toi. Me voici — comme autrefois — dévoré du tourment cruel de te rencontrer au coin de basses ruelles où la lumière fardée des persiennes coule le long des murs… J’ai longtemps tourné dans ce quartier désert. Je connais pourtant des bars aux glaces réfléchissant de blancs visages ; je connais des promenoirs brûlants, où le désir des hommes s’exalte dans l’arrogance, des maisons pleines de femmes, des salons étouffés dans les velours chauds, les odeurs et les satins miroitants. Je connais des comptoirs aux murs de lèpre grise. Je connais d’étranges boutiques où les vendeuses se donnent habillées, des chambres que la rumeur de la rue assiège pendant qu’un corps à moitié nu tremble et gémit sous le baiser, des terrains vagues peuplés de souffles, des caves humides et des


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