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Floflo avait été tout de suite folle de Tatave, un poète, une sorte d’étudiant supérieur ; elle était ravie non seulement de sa beauté, mais de la finesse de sa peau, de la blancheur de ses mains, de la douceur de ses manières, du moelleux de ses caresses, de la politesse de son langage, de l’élégance de sa compagnie, de la distinction de son nom. Octave était l’amant de ses rêves d’amour, mais plus beau qu’elle ne l’avait imaginé, plus beau que les héros illustrés des livraisons à dix centimes, plus beau que les jeunes premiers du théâtre Beaumarchais. Pour tout dire, son idéal en mieux[1].



Floflo avait la taille fine et ronde, les traits menus, la figure mignonnement grasouillette des jeunes faubouriennes ; et aussi leur crâne caractéristique, énorme et comme enflé, qui semble fait à souhait pour le cancan des caprices, pour le chahut des chimères. Ses cheveux, d’un châtain lustré, peu abondants mais bien répandus, tombaient sur le dos en queue de vache, et sur le front, dont ils cachaient intelligemment la bombure, comme les dents d’un peigne rond. Ses yeux d’un gris bleu, très grands, très mobiles, voilés de longs cils ainsi que de rideaux propices, étaient les réflecteurs nécessaires des multiples fantaisies de sa cervelle inéquilibrée. Par contre, le bas de la face marquait par les dents bien rangées, par les lèvres maigres et serrées, par le menton gras et tant soit peu engaloché, l’entêtement et l’appétit. Pour un observateur, Floflo était l’un des produits les plus réussis de ces filles parisiennes à la fois envolées, capricieuses, entêtées, vaniteuses, goulues, taquinantes, personnelles, toujours à s’admirer dans les glaces, à se tapoter les jupes, à se parfaire la coiffure, à fureter, à questionner, à occuper tout le monde de leur amour-propre, à lanciner leurs amants des coups d’épingles de leurs malices, à leur crever le cœur comme un ventre de joujou. Elle avait dû être de ces gamines qu’on voit dans les rues suçant des sucres d’orge avec des airs vicieux, mordant dans une pomme comme dans du fruit défendu ; elle devait devenir de ces sphinges exquises et ignobles, rusées et stupides, changeantes et troubles, d’une invraisemblance et d’une fascination de sirènes[2].



— Doumerc ! avertit la patronne, Angèle…

— Tiens ! miss Crampon  ! fit Doumerc assez haut.

— Miss Crampon  ! fat que tu es, va ! Si tu t’imagines que je viens pour toi ! Qui m’offre un bock ? Tiens, toi, Georges, fit-elle à un jeune juteux.

— Est-il fort, ce Doumerc ! fit Jordan émerveillé, se débarrasser d’une femme d’un mot, chic !

  1. Chapitre XIII.
  2. Chapitre XIV.