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que ses mamelles s’aplatissaient telles des poches ; que sa charnure la fuyait comme du suif fond ; que, bientôt, que tout à l’heure, rien ne subsisterait d’elle, sinon les vils entozoaires qui tâchaient à l’anéantir. Et l’assimiliation obsédante fut si complète qu’en marche, sous le soleil, elle se palpa comme au sursaut des cauchemars nocturnes ; s’ébahit ensuite de reconnaître sa matérialité intacte. Mais loin ces louches angoisses ! Elle était dispose et robuste, saine inaltérablement, si vivace qu’elle s’éprouvait immortelle. Dès lors, comme elle en avait reçu la plausible contagion, Marianne répandit sur ses vignes la sécurité de son bien-être. Elles aussi bravaient la maladie, défiaient l’anéantissement ! Et, comme lui revinrent à la mémoire les dévastations incessantes de l’immonde vermine, un enthousiasme de combattivité la délecta. De ce jour, plus d’inaction mélancolieuse, déprédatrice ! la nouvelle bataille, épique parmi toutes, exigerait, les revigourant, ses aptitudes les plus hautes. Tant mieux donc ! — oui, tant mieux — que le phylloxéra fût un ennemi innombrable ! tant mieux qu’on le prétendît invincible ! tant mieux qu’il se multipliât à mesure ! tant mieux qu’il s’acharnât sans trêve ! la superbe victoire que remporterait là son génie, contre le mal, contre la mort !

Marianne regarda du côté de Saint-Eutrope, d’où, vorace et sournois, viendrait l’adversaire : puis, elle contempla ses vignes, dont la cohésion évoquait la force d’une phalange ; et, faisant un pas, se mettant comme à leur tête, la Barthozoule clama ce défi :

— Le phylloxéra ! qu’il vienne !