Page:Capus – Qui perd gagne.djvu/54

Cette page a été validée par deux contributeurs.

toute leur existence s’était écoulée très loin. Son mari avait dû la trimballer dans les cinq parties du monde, et aujourd’hui, grasse, fatiguée, indolente, elle n’aspirait qu’à se reposer sur des chaises longues, sans songer à rien. Le fait certain est que le père Verugna avait réalisé une fortune immense. Quelles en étaient les origines ? Il ne restait pas de témoin pour les raconter. Les uns parlaient de mines d’argent, d’autres de bénéfices fantastiques dans des commerces inavouables, d’autres de jeu.

Brasier, suivant sa coutume, prétendait que la fortune de Verugna était le résultat de formidables canailleries, de ces canailleries dont les canailleries parisiennes ne sauraient même donner une idée approximative. « Des crimes inouïs dans des déserts… Ça se rencontre tous les jours, là-bas… C’est très naturel, on ne le remarque pas. Ni justice, ni responsabilités, un pays de sauvages. »

Cette opinion ne l’empêchait pas d’être fort lié avec Verugna, et ils ressentaient l’un pour l’autre une réelle sympathie.

Brasier lui faisait parfois des plaisanteries de mauvais goût. Ils avaient joué une nuit au baccarat et Verugna lui avait gagné une somme assez ronde. Depuis lors, Brasier refusa de jouer avec lui, et quand Verugna proposait une partie :

— Ah ! non, par exemple, tu es trop heureux au jeu. Je ne dis pas que tu triches, mais tu as dû avoir un ancêtre qui trichait… Tu triches par atavisme… Tu n’y es pour rien, toi, tu es honnête, c’est l’ancêtre qui est coupable.

Verugna adorait ces façons-là.