surmonter sa répugnance, et en disant au cocher : « 60, rue de Monceau ! » elle n’avait plus ce serrement de cœur, cette appréhension douloureuse de la première entrevue. Pendant le dîner, toujours précieusement servi, elle se surprenait à ne pas trop s’ennuyer.
Letourneur ne manquait jamais de lui demander des nouvelles de son mari et lui donnait des conseils pour l’avenir. Il ne la tutoyait pas, affectant une tendresse paternelle. Emma, sachant qu’il était d’habitude grossier avec les femmes et cynique, éprouvait de la reconnaissance pour ces procédés.
Huit jours à peine s’étant écoulés, il lui remit, dans un élégant porte-cartes, un chèque de deux cent mille francs. En le prenant, Emma ressentit une émotion mêlée d’un peu de honte et regarda Letourneur d’un air timide. Elle craignait de découvrir sur ses lèvres un sourire méprisant. Le banquier avait, au contraire, la même figure bonhomme qu’en lui offrant des bonbons. Il l’embrassa sur le front et elle lui serra la main doucement.
La vue de ce chèque lui rappela un détail qui remontait aux débuts de son mariage : lors de l’affaire Griffith, Farjolle était revenu de Londres avec un chèque, sur du papier tout pareil. Elle chassa des pensées tristes qui lui vinrent à ce souvenir.
Le propriétaire de la ferme des Ardoises, M. Lequesnel, répondit à sa lettre : la ferme était encore à vendre, M. Lequesnel serait enchanté de s’en débarrasser. Elle lui écrivit qu’elle allait consulter son mari et l’engager vivement à faire cette acquisition ; qu’ils iraient tous les deux à Mantes, bientôt. La nuit, elle rêva qu’elle buvait du lait, aux Ardoises, avec Farjolle.