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X

Depuis l’heure de mon lever jusqu’à celle du départ, j’ai vu successivement tous mes bons, tous mes chers amis de Tulle : le docteur Ventejou m’a tâté vingt fois le pouls, et vingt fois m’a serré la main en pleurant. Madame Maurice m’a apporté son fils, bel enfant de deux ans, qui venait chaque jour dormir ou jouer au pied de mon lit ; en me voyant pleurer, le pauvre chéri a couvert mes yeux de ses petites mains pour empêcher mes larmes de couler, et, n’y parvenant pas, il s’est mis à crier en se cramponnant des deux bras à mon cou.

Oh ! que j’ai souffert en quelques heures ! c’est tout ce que je sais de ces moments cruels, et quand j’y reviens par la pensée, mon cœur bat si douloureusement et si vite, que je ne peux pas, que je ne veux pas me souvenir.

À quatre heures, le coup de fouet du postillon a sonné le glas des adieux… Je me suis levée… J’ai regardé une dernière fois ma chambre, et, m’approchant de la fenêtre, j’ai appuyé mon front brûlant sur un nom gravé dans la pierre vive.

Ce nom, presque frère du mien, est celui d’un paysan des environs de Saint-Flour, qui, soixante ans auparavant, était sorti de cette même chambre pour monter sur l’échafaud, eu expiation d’un crime qu’il n’avait pas commie : son beau-père était le coupable, et, quand on l’apprit sur la terre, la victime était au ciel.

M. Duval m’attendait à la porte : je lui ai demandé un crayon, et j’ai mis mon nom sous celui du pauvre martyr…

— Pourquoi signer votre passage ici, madame ? m’a dit l’excellent homme d’un ton de reproche. Craignez-vous qu’on ne vous oublie ?