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poème aux travailleurs du livre

 

Pourtant, les amants, vos ivresses ;
Pourtant, les vierges, vos tendresses ;
Pourtant, ô chanteur, la caresse
De ta voix très lourde de soupirs
Durent leur charme à ce martyr !

Ô femmes, portez-lui des fleurs plein vos mains blanches,
Parez son front de lys et de feuillages verts,
Sur un mol oreiller de bleuâtres pervenches
Qu’il repose à jamais, car il a tant souffert !
Et s’il est parmi vous, les heureux de la terre,
Des hommes, conscients des tâches de demain,
Songez, près de ce corps, que pour juste salaire
À qui donne le livre on doit plus que le pain.
On doit tout un trésor de gratitude exquise,
Car en multipliant les signes, sous ses doigts,
Pour les plus humbles yeux, l’imprimeur éternise
Ce qu’un cerveau puissant put atteindre une fois !
Songez que l’ouvrier eut cette horreur dernière…
Plus déchirante encor que les maux de sa chair,
Sentir le grand sommeil le prendre, sans qu’un frère
Eût reçu de ses bras les êtres purs et chers…
Leur épargnât la faim, les perfides épreuves
Des villes aux senteurs troublantes de désir…
Songez au pauvre mort et dites à la veuve :
« Nous venons, car nos cœurs sont lourds de repentir ;
Nous voulons que, par nous, votre œuvre s’accomplisse,