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la lente épreuve

 


Et le peuple enivré vous honore et vous fête,
Femmes des temps passés qu’aimèrent les poètes :
Leuconoé rêveuse et Délie au beau sein,
Béatrice, qui pris le Dante par la main
Et jusqu’au paradis l’emportas, d’un coup d’aile,
Laure aux grands yeux, Elvire aux plaintes immortelles,
Eva la voyageuse et son rêve léger,
Que berçait chaque soir la maison du berger !


Qui leur reprocherait, aux grandes amoureuses,
D’avoir donné leurs cœurs, leurs âmes douloureuses
Et leurs beaux corps pâmés et leurs lèvres de miel,
À ceux qui vont, guidant les foules sous le ciel ?


Ô toi, qui me reviens de la terre lointaine
Où la brise légère apportait mes baisers,
Toi qui sens mon désir, toi qui connais ma peine
Et règnes sur mon âme en jeune souveraine,
Dis-moi, laisseras-tu mon rêve se briser !


Toi qui voulus pour moi l’œuvre féconde et pure,
Toi qui m’as dit un soir la douleur de périr,
Écoute, autour de nous, chaque moment s’enfuir
Et, lentement, monter ce flot de la nature
Où notre être fragile ira s’anéantir.