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Que la seule raison les soutienne et les guide
Ceux qui, d’un pas rythmé, montent la Côte aride
Sans gravir un rocher pour cueillir une fleur.
Mais il en est aussi qu’enivre la splendeur
Des horizons bleutés et des pentes ombreuses
À l’aurore entrevues au détour du chemin.
Ils partent, le front jeune et la bouche rieuse,
Moissonnant tout le jour les fleurs à pleines mains.
Ce sont de grands enfants, partout où leur génie
Croit sentir palpiter l’âme de l’univers,
Ils laissent les couleurs, les parfums, l’harmonie
Pénétrer à longs flots par leur cœur entr’ouvert.
Et quelquefois, à l’heure où le couchant s’embrase,
Jusqu’au plus haut d’un pic inondé de clartés,
Un poète s’en vint contempler en extase
La nuit en longs frissons glissant sur les Cités.
Il avait oublié sa misérable vie,
Les tremblantes vapeurs s’élevaient des foyers
Dans la plaine. Il songeait avec mélancolie
Aux frères inconnus gîtés là, par milliers,
À ceux qui reposaient sous leur toit de misère,
L’âme et le corps brisés par le travail du jour,
À ceux dont nul sommeil n’aurait clos la paupière,
Que hantait la souffrance ou la haine ou l’amour.
Soudain, rien n’était plus que la nuit froide et noire ;
Il s’en allait dans l’ombre, heurtant à chaque pas
Les roches. Du sentier il perdait la mémoire ;