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LETTRE-DÉDICACE


À Monsieur SULLY-PRUDHOMME de l’Académie Française
à Châtenay.
Mon bon et cher Maître,

Un jeune poète de ma connaissance, apprenant que j’assemblais, pour les publier, les poèmes de ce recueil, m’a demandé, l’autre jour, si j’étais de ceux qui osent encore employer dans leurs vers le mot rose.

— « Oui, certes », lui ai-je répondu.

— Et le mot « Printemps » ?

— Sans doute.

— Et le mot âme ?

— Assurément, bien que dans un sens nouveau.

Je vis que mes réponses le peinaient et je l’amenai bientôt à me dire : « Tout cela est fâcheux pour vous, car, à supposer que certains passages de votre œuvre plaisent a quelques personnes, aucune d’elles n’en voudra convenir. Il est toujours un peu déplaisant, voire même ridicule, de goûter un genre de poésie qui n’est pas à la mode du moment. Aborderiez-vous les gens, dans la rue, vêtu d’un habit à basques et d’un pantalon à sous-pieds ? »

Cette remarque judicieuse ne laissant pas de me surprendre, il ajouta :

« Les roses n’existent plus, pour les meilleurs poètes, ce sont des fleurs dont il a été trop parlé ! Dites la louange des lys noirs, ce sera plus original. Que signifient, franchement, ces longs poèmes écrits sous la poussée d’un amour sentimental que vous semblez, je vous assure, avoir pris au sérieux ! Seuls les poèmes très courts peuvent être lus, qui furent ciselés à froid et qui révèlent chez leur auteur, outre l’écrasant dédain des joies communes, des sensations inattendues ; qui produisent aux yeux du lecteur stupéfié des vocables nouveaux, enserrés parmi des