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Bernard.

Allons donc !

Cange.

Oh ! c’est b’en vrai. J’ne compte avec personne, moi ; aussi je suis toujours mieux payé qu’un autre. On marchande le mercénaire, on récompense le serviteur désintéressé. Je sommes né bon ; j’n’saurions voir souffrir. Sur une centaine qui sont là-dedans, il y en a eu quelquefois dix, vingt de suite que j’ons obligés seulement pour le plaisir d’user mon temps et mes souliers. Eh b’en, il en vient un plus riche, dont j’n’attends pas plus, que j’oblige d’même, qui me paie pour tous les autres, et ça me dédommage.

Bernard.

C’est qu’t’es heureux. Je n’oserions l’risquer, not’ état n’est déjà pas assez bon pour…

Cange.

Qu’est-ce que tu dis donc ? Notre état ! le plus joli état du monde, le plus libre… Et j’aime la liberté, moi ; oh ! je l’aime… Mais sais-tu ousque je plaçons le niveau de l’égalité ? — Dans notre ame, morbleu. C’n’est pas le plus riche, c’n’est pas le plus savant… c’est le plus sage, c’est l’meilleur, sur-tout, qu’est, selon moi, l’premier des hommes ; et il n’y a qu’ceux-là qui l’y ressemblent qui soyons dignes d’être ses égaux.

Bernard.

T’as raison, morbleu, t’as raison. — Mais, dis-moi, as-tu déjà ben trotté aujourd’hui ?

Cange.

J’t’en réponds, Et j’en aurois fait encore davantage sans… (il s’écrie :) Ah, mon dieu ! ah, mon dieu, mon dieu !…

Bernard, effrayé.

Eh ben, eh ben, qu’est-ce qui t’arrives donc ? Comme tu cries !…

Cange.

Ah, mon dieu, mon ami ! c’est que…