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cela à toi tout seul. Diable m’emporte si je sais comment tu feras pour…

Cange.

Comment j’ferai ? Je m’leverai deux heures plutôt. Je ferai mes commissions deux fois plus vîte : mes petits gas sont gras à plaisir ; ça crève de nourriture ; j’leur porte sans cesse… Eh b’en, ils s’arrangeront… ils partageront… Je m’priverai aussi de mon côté. J’vous régalois les jours de décade ; vous m’régalerez à vot’tour ; vous saurez pourquoi, et ça n’souffrira pas d’difficulté, n’est-il pas vrai ? Mon aîné est déjà fort, dans deux ans il travaillera avec moi ; v’là déjà un soulagement. Ils grandiront tous les un après les autres ; chacun d’eux fera pour moi ce que j’aurai fait pour lui : au lieu de trois amis, j’en aurai sept. Ne m’voilà-t-il pas bien à plaindre ? — D’ailleurs… (confidemment) je suis en fonds.

Bernard, curieux.

Tu es en fonds ?

Cange, tirant un petit porte-feuille.

Oh, oui, oui… J’ai ici… tiens, j’ai dans ce porte-feuille deux bons billets de cinquante francs chaque, qu’j’ons amassés depuis deux mois que j’nous sommes établis à c’te porte. J’ne savons pas pourquoi, mais j’remarquons que ceux-là qui sont dans l’s’angoisses, dans l’s’inquiétudes, dans la misère… sont toujours plus généreux que d’autres.

Bernard, extasié.

Et tu as cent francs, toi ?… cent francs !

Cange, riant.

Ça t’étonnes ? — Tu n’les as p’t’être jamais eu de ta vie ?

Bernard.

Ma foi non ; et je sais compter, stapendant.

Cange.

C’est à cause de ça ; quand tu compteras moins, tu en auras davantage.