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grand nombre des Français, plus honnêtes qu’éclairés, crurent de bonne foi cette constitution praticable, mais ils la regardaient comme la plus sublime des institutions politiques.

» Derrière les constitutionnels se cachaient trois partis : le plus odieux, dans son but, travaillait au retour du despotisme ; le plus inconséquent cherchait, après avoir détruit la noblesse, à la ressusciter par l’introduction d’une chambre haute, et le plus fidèle aux principes, les vrais jacobins voulaient la république démocratique.

» Ici, dans l’ombre du mystère et sous des formes variées et changeantes, commence, entre tous ces partis, une lutte voilée et un jeu secret d’intrigues et de factions, auprès duquel toutes les factions qui ont agité les empires et désolé la terre ne sont que des jeux d’enfans. Ici les factions se combinent, se compliquent, s’entrelacent en telle sorte qu’elles forment un labyrinthe, et que l’historien qui voudra un jour les décrire et suivre leurs sinuosités, fût-il aidé du fil même d’Ariane, aura bien de la peine à en sortir. Signalons d’abord les aristocrates et démocrates : c’est la division la plus générale. Sous la première dénomination rangeons les monarchistes, les royalistes ou les amis du roi, et les ennemis de l’égalité ; sous la seconde les patriotes et les amis du peuple et de l’égalité. Entre ces deux classes flottent sans plan et sans système les impartiaux et les indépendans. Remarquons cependant qu’aristocrate et démocrate se prennent en plusieurs sens et reçoivent les acceptions les plus opposées. Un démocrate est royaliste, un monarchiste est démocrate, parce qu’ils sont également constitutionnels, et que la constitution favorise ces contre-sens. Ce n’est pas tout : les jacobins sont censés les plus ardens amis de la liberté du peuple et de l’égalité. Personne, à cet égard, ne veut rester en arrière : on se dispute la popularité, puisqu’elle est la route nouvelle que la révolution ouvre à la fortune, au pouvoir et à la renommée. Tous veulent donc être jacobins. Tous les constitutionnels vont aux jacobins et se disent jacobins. Ainsi, pendant un temps, la France entière est jacobine, excepté le côté