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tous les ordres de l’État se soulèveraient contre le déficit annuel de plus de cent millions, dilapidés par une cour que la procédure du collier jetait dans une espèce d’avilissement ? M. Necker, dans un compte rendu, avait assuré, cinq ans auparavant, que la recette était supérieure à la dépense de plusieurs millions ; et maintenant M. de Calonne trouvait un déficit de cent millions. À quoi attribuer ce déficit ? Aux cinq dernières années ? On ne pouvait ainsi accuser la cour sans l’avilir. Aux années antérieures ? On ne pouvait assaillir la grande réputation de M. Necker. Quel parti ne devait pas tirer l’Angleterre de cette position embarrassante !

» On se ressouvint, dans cette circonstance, que la France et l’Angleterre s’étaient promis, à la fin de 1783, de négocier un traité. M. de Calonne et M. de Vergennes concoururent à le rendre favorable à la nation britannique, et, par leur calcul, nos manufactures furent sacrifiées. Pendant les douze années que devait durer le traité, l’Angleterre satisfaite devait jouir d’un bénéfice immense et s’occuper de rétablir ses propres finances. Ce traité, qui souleva tous les esprits, fut signé le 26 septembre 1786, sous le ministère de M. Pitt, victorieux de M. Fox, récemment sorti du ministère ; et la résolution de convoquer les notables fut prise dans le conseil, à Versailles, le 29 décembre.

» Je n’entrerai pas dans le détail des reproches que la nation a faits à ce traité ; il n’existe plus. J’observerai que les négocians anglais, pour nous donner le goût de leurs marchandises, de leurs poteries, par exemple, portèrent leurs spéculations au point de les donner, au-dessous de leur valeur, à crédit et à longs termes. Nous avons tous vu les poteries anglaises devenir, dans l’espace d’un mois, à la mode sur les tables les plus distinguées. Nous fûmes les témoins des banqueroutes de plusieurs manufactures françaises intéressantes. » (Mém. hist. du règne de Louis XVI, par Soulavie, tom. VI.)