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répond le ministre, me demande un miracle. — Hé bien, poursuit la reine, faites ce miracle, et vous êtes mon saint. » Le miracle ne se fit point, et le duc, trop favorable au philosophisme pour avoir jamais été le saint de la reine, le fut encore moins depuis ce temps-là…

» La seule ressource qui restât à la reine, dans la douleur de ne pouvoir épargner aux jésuites le sort que leur avaient préparé les manœuvres concertées du vice et de l’impiété, fut de travailler à leur en adoucir la rigueur. Placés par leurs persécuteurs entre le crime de l’apostasie et le plus cruel exil, tous ces religieux optèrent pour ce dernier parti : la reine obtint des passages gratuits sur les vaisseaux du roi pour ceux d’entre eux qui désirèrent de se rendre dans les pays infidèles en qualité de missionnaires. Elle en adressa un très-grand nombre au roi Stanislas qui les accueillit dans la Lorraine. Elle intéressa en leur faveur toutes les personnes aisées de sa connaissance. Elle mit à contribution la famille royale, et Louis XV lui-même, qui leur payait régulièrement une pension de trente mille livres sur sa cassette. De son côté, après avoir épuisé tous ses moyens, et voyant qu’il restait encore des besoins à plusieurs de ces infortunés proscrits, elle emprunta, elle fit vendre ses bijoux, pour procurer un viatique et des voitures à ceux à qui leur grand âge ou des infirmités rendaient ce secours nécessaire pour gagner la terre de leur exil. À la mort du roi de Pologne, la reine conjura Louis XV de conserver aux jésuites leur existence dans la Lorraine, au moins tant qu’elle vécut ; et ce prince, malgré le vœu contraire des ennemis de sa gloire, prit sur lui d’accorder cette satisfaction à sa vertueuse épouse.

» Jamais la reine n’avait voulu renoncer à l’espérance du rétablissement des jésuites en France, et toute sa vie, elle se flatta que quelque heureuse circonstance pourrait le déterminer. Au moins ne pouvait-elle douter que le premier acte de justice de son fils, s’il fût monté sur le trône, n’eût été leur rappel. Un jour qu’elle était occupée de la broderie d’un riche ornement d’église, le P. Griffet qu’elle estimait pour son savoir et sa piété,