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nous en donnât pour faire quelques lits à nos malades. Ce serait une fort bonne œuvre. — Seriez-vous bien aise que j’en parlasse au ministre ? — Je n’aurais osé, Madame, prendre la liberté de vous en prier ; mais votre recommandation fera sûrement plus que la mienne, et vous rendrez un grand service à nos pauvres. — Hé bien ! comptez, ma sœur, que je n’oublierai pas l’hôpital de Triel. » La religieuse se retire pénétrée de reconnaissance pour l’aimable inconnue qui vient de lui marquer tant de bonté ; mais à peine a-t-elle fait quelques pas, qu’elle se reproche de n’avoir pas cherché à connaître son nom. Elle retourne vers la fenêtre, la reine y était encore : « Pardonnez, Madame, lui dit-elle, à la curiosité qui me ramène ; je voudrais bien savoir qui est la dame qui m’honore si généreusement de sa protection ? » — La princesse, en lui souriant d’un air plein de bonté, lui répond : « N’en dites rien, c’est la reine… »

» La reine marquait la plus grande considération au maréchal de Saxe, qui, de son côté, lui faisait fort régulièrement sa cour lorsqu’il était à Versailles. Elle eût désiré que ce digne émule de Turenne l’eût imité jusque dans son retour à la religion de ses pères. Un jour que ce général prenait congé d’elle pour aller commander nos armées, elle lui dit, en lui souhaitant d’heureux succès, qu’elle prierait Dieu et qu’elle le ferait prier pour lui. « Ce que je demanderais au ciel, répondit le maréchal, ce serait de mourir, comme M. de Turenne, sur le champ de bataille. — De quelque manière que meure le maréchal de Saxe, reprit la reine, il ne peut que mourir couvert de gloire : mais, ce qui comblerait mes vœux, ce serait qu’au bout de sa longue et glorieuse carrière, il fût, comme Turenne, enterré à Saint-Denis. » Le comte de Saxe n’eut ni l’espèce de gloire qu’il désirait, ni la gloire beaucoup plus précieuse que lui souhaitait la reine. Lorsque cette princesse apprit sa mort, elle le plaignit, en s’écriant : « Qu’il est triste, et que l’on souffre de ne pouvoir dire un De profundis pour un homme qui nous a fait chanter tant de Te Deum ! »