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porta à Compiègne. Madame la dauphine n’avait point encore usé de la permission que le roi lui avait donnée de conserver son rang à la cour ; elle avait voulu laisser écouler les six premiers mois de grand deuil ; mais le jour de Saint-Jacques, elle parut et tint désormais la cour les jours de chasse. Alors se déploya, dans quelques occasions, la vigueur de son caractère. Un jour, entre autres, qu’on lui servit deux œufs qui, avec le lait qu’elle prenait à la rigueur, formaient son dîner, l’un de ces œufs se trouva couvé. Elle se tourna du côté de M. Du Muy, son maître-d’hôtel, et lui dit ces mots : « Voyez, Monsieur, comme l’on me sert, » mais d’un ton si fier, qu’on en parla tout le voyage. On n’était plus accoutumé à entendre ces phrases des maîtres, qui tuent les hommes quand elles sont appliquées à propos. La vue de ce poulet formé fit horreur à la princesse ; il lui prit une quinte violente qui devint la ressource des partis furieux qui lui étaient opposés. »

On trouve dans le même ouvrage les détails suivans sur le caractère et les penchans que montrait Louis XVI dans sa jeunesse.

« Le dauphin de France, fils de Louis XV, avait présidé pendant plusieurs années à l’éducation de ses trois fils, du duc de Berri, depuis Louis XVI, du comte de Provence et du comte d’Artois.

» Le duc de Berri avait un maintien austère, sérieux, réservé et souvent brusque, sans goût pour le jeu, les spectacles et les plaisirs, véridique et jamais menteur, s’occupant à copier, et dans la suite à composer des cartes de géographie et à limer du fer.

» M. le dauphin avait témoigné à cet enfant un sentiment de prédilection qui excita la jalousie des autres. Madame Adélaïde qui l’aimait tendrement, lui disait en plaisantant pour vaincre sa timidité : Parle donc à ton aise, Berri ; crie, gronde, fais du tintamarre comme ton frère d’Artois ; casse et brise mes porcelaines, fais parler de toi. Le jeune duc de Berri, toujours plus silencieux, ne pouvait sortir de son caractère. » (Mém. hist. et polit. du règne de Louis XVI, par Soulavie, tome II.)